SENS ET VÉRITÉ

Sens et vérité en psychanalyse

On ne peut éliminer l’autre ( celui qui détermine à mon insu la valeur de vérité de mes énoncés ) qu’à ce prix : en se risquant d’écouter les anges mathématiques et, forcément, les démons trompeurs qui les accompagnent. C’est le risque de vouloir être absolument un, sans autre que soi-même.1 ‘

Bref, l’interprétation psychanalytique n’est pas ’vraie’ en raison de la vérité qu’elle dit ou du sens caché qu’elle dévoile sur le désir. Une telle interprétation, même proférée par un analyste demeuré attaché à l’attente du salut par le savoir ou encore par un théologien, ne s’adresse qu’au Moi, qu’elle édifie. L’interprétation psychanalytique, elle, est ‘vraie’ de s’adresser au sujet dans son rapport aux signifiants de son discours, c’est-à-dire au sujet même de l’inconscient, qui est le sujet au sens strict et inaliénable du terme. Du coup, la question des ‘critères de l’interprétation vraie’ se modifie. 

On sait l’embarras où cette question met les analystes et dont Freud a pris acte dans son article ‘La construction dans l’analyse’2 : si le patient confirme l’interprétation, cette confirmation ne prouve pas qu’elle est vraie ; s’il la contredit, non plus. En fait, le critère de l’interprétation juste réside dans son effet, qui consiste en ce que le sujet se met à dire vrai. Dire vrai, cela signifie, par exemple, que l’incertitude entretenue sur la date d’un évènement est enfin rompue : c’est arrivé avant tel autre évènement et non après. Mais dire vrai, cela signifie surtout que le sujet répond par ceci, qu’au fond il ou elle savait : ‘Je savais que ma révolte n’était pas sans couvrir une certaine complicité avec la légende familiale.’ Ou encore : ‘Je savais que cet enfant qui n’a pas vu le jour était voué au sacrifice.’ Bref, c’est au moment où le sujet dit ‘je mentais’ que nous sommes sûrs qu’il parle comme responsable, responsable de la vérité à laquelle répond maintenant son dire. En effet, ‘je mentais’ est la signification exacte de ce ‘je savais’. Car il s’agit bel et bien d’une vérité que le sujet trouve dans son analyse, seulement c’est le sort de tout ce qui se trouve que d’être rejeté en arrière comme ayant été toujours là. [ … ]

Le point qui mérite d’être souligné est qu’il s’agit d’une division intra et non intersubjective. Un mathématicien peut écrire une démonstration sans savoir ce que c’est qu’une démonstration. Au niveau de l’énonciation, il est dans ce ‘il ne savait pas’ qui peut, dans un deuxième temps, susciter la question : Qu’est-ce que la démonstration ?’

Pour conclure, je dirai que c’est dans le langage que la psychanalyse trouve le sujet. Elle le trouve là enchaîné à ce que Freud, dans L’Esquisse, appelle un πρώτον ψέύδoς, un premier mensonge ; et, du même coup, le trouve comme étant, dans ses symptômes mêmes, de la vérité, plutôt proie que chasseur. Or, bien que la question du rapport entre la vérité comme norme ou obligation morale, d’une part, ait pour nous une importance centrale, une question plus immédiate s’impose à notre attention. En effet, le commandement qui nous interdit de mentir se distingue par son caractère d’universalité, au sens d’être prescrit dans toutes les sociétés humaines. Si tant que toute norme morale repose en dernier lieu, comme le soutient Hans Kelsen, sur la croyance, la question se pose de savoir sur quelle croyance repose ce commandement ainsi que celle de la vérité de cette croyance. 


1 Cassou-Noguès, P., Les Démons de Gödel, logique et folie, Paris, Éd. du Seuil, Coll. « Science ouverte », 2007, P.110

2 Freud, S., Résultats, idées, problèmes, vol. II, Paris, PUF, 1985

Safouan, M., La parole ou la mort, Essai sur la division du sujet, Éd. Seuil,  2010, pp.  42 – 45

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