SÉANCES APRÈS SÉANCES

En séance, comment ça se passe ? 

« Des fois je me sens très irrité ou jaloux d’une attention qu’il a pu marqué au patient qui va s’en aller dont j’ai pu percevoir quelque chose. Ou pas. Mais j’en imagine quelque chose. Donc ça, ça va créer aussi une ambiance dans laquelle j’ai finalement envie ou pas envie, donc ça vient brimer ou ça vient influencer. C’est quand même extrêmement compliqué de savoir ce qui fait une bonne séance ou ce qui fait une mauvaise séance. Au total, il y a sans doute pas de réelles mauvaises séances, il y a des séances où on sort frustré en se disant qu’on a quand même passé beaucoup de temps pour rien sur ce canapé, que il s’est ennuyé, que on lui a rien donné à manger. Ça c’est ma manière de penser qui … – Ah vous voulez lui faire plaisir ? – Oui bien sûr oui. Une expression que j’utilisais qui est sans doute très associative pour le coup, c’était lui donner du « bon mangé(r) », je voulais lui donner en séance du « bon mangé(r) ». Alors seulement on en lui donne pas toujours du « bon mangé(r) » et quand on lui donne du « bon mangé(r) » finalement je ne suis pas sûr que ça marche par ailleurs. Mais oui il y a ça. Et donc là évidemment on entend à quel point j’ai besoin de lui faire plaisir à cet homme là, oui et à ce qu’il reconnaisse que je veux lui faire plaisir. Et donc tout ça ça fait parti du travail. »

Retranscription, partielle, du troisième volet de La Série Documentaire de quatre épisodes émis sur France Culture en Septembre 2016. 


Une bonne séance c’est quoi ? Une mauvaise séance c’est quoi ?

Catherine Delarue-Breton

[…] J’ai parlé de valeurs à repasser à la pierre de touche. Le fait de se sentir capable d’un certain libre-arbitre alors que la psychanalyse amène à découvrir que finalement on en a assez peu puisqu’on est très dirigé par notre inconscient, et bien le fait de pouvoir attrapé par morceau cet inconscient donne un sentiment de liberté qui est extrêmement rare, extrêmement précieux et rare. Il n’y pas beaucoup de circonstances dans la vie où on peut avoir je trouve ce sentiment d’un moment de connaissance de soi, d’un moment de « commensurabilité ». Je travaille beaucoup avec cette notion d’incommensurabilité entre le monde et l’homme. Il n’y a pas de commune mesure entre l’homme, ce qu’il prévoit, ce qu’il organise autour de sa vie, de la vie des siens, et puis ce que nous réserve l’existence qui peut toujours nous surprendre quoi qu’on ait prévu. Il n’y a pas de commune mesure. Et bien la psychanalyse de temps en temps permet d’étendre de « commensurabilité » entre l’homme et le monde. Me semble t’il.

En quoi vous avez changé en allant chez un psychanalyste ?

Alexandre

C’est très compliqué à dire, je m’appuierait juste sur un jeu de mots qu’il a fait il n’y a pas très très longtemps au travers de quelque chose que je lui avais dit, il m’a répondu « vous avez pris du poids. » Ce qu’il fallait entendre dans le sens propre et figuré. Je l’avais amené dans le sens propre, lui il l’a dit dans le sens figuré. Ça m’a paru juste en fait. Le symptôme principal chez moi était l’angoisse, comme pour beaucoup, ça n’avait rien de très extraordinaire, et l’analyse permet quand même d’en faire quelque chose d’autre et de libérer des espaces de désir beaucoup plus grand(s) et de capacité à travailler et à s’engager beaucoup plus grande donc de ce point de vue là, oui, c’est un changement c’est à peu près certain. Je pense que j’ai pris place autrement dans ma propre vie. Et ça n’est pas un changement radical non plus. Je n’ai fait que accentué des choses qui existaient déjà. Il n’y a pas eu de rupture ça n’a pas marqué de changement radical, non, pas du tout.

Le moment où de la place s’est libérée pour autre chose, vous le sentez dans certaines séances ?

Oui. On sent parfois des dégagements, oui. C’est fin comme sentiment, ça supporte même sans doute pas d’être mis réellement en mots mais il y a des moments où on va se sentir léger. et puis on va sentir quelque chose comme de l’appétit. On va sortir de là en se disant et oui finalement c’est pas si grave, c’est pas tragique, et oui finalement t’en es capable, et oui tu vas le faire et puis voilà. Quelque chose de l’orde d’un appétit se fait sentir qui permet de faire des choses, oui absolument ça se loge au creux de l’estomac comme si on fait faim pour de vrai en tous les cas pour moi ça me fait ça. Oui, de l’appétit. Je crois que c’est le meilleur mot que je puisse dire oui, et je crois que ça doit s’appeler du désir.
J’ai pu être pris par des émotions, de la colère, du désarroi, de la haine, des envies de violence ce genre de choses là mais l’abattement, les larmes, les larmes me sont venus aux yeux plusieurs fois mais d’ici à tout lâcher, non. Je n’en suis pas là. Il y en a qui y parviennent. Sans doute que ça ne me ferait pas de mal de temps en temps mais non, il y a une sorte de contrôle qui se maintient là. Une résistance très clairement mais que je maintiens quand même.

Vous rêvez plus lorsque vous êtes en analyse ? 

Oui absolument mais c’est par période c’est-à-dire qu’il y a des moments, et là aussi ça fait parti des résistances, où je peux rêver mais n’en retiens strictement rien et donc n’ai rien à en dire ou alors des fragments très très lacunaires et puis il y a d’autres moments où les rêveries, ou les rêves et rêveries d’ailleurs sont plus intense et où du coup il y a matière à dire sur le divan. Et effectivement cela correspond à ds moments de plus grandes disponibilités psychiques, c’est-à-dire à des moments où je suis effectivement plus engagé dans le travail, où il y a quelque chose qui effectivement se laisse aller et où donc du coup c’est plus facile d’associer. Mais encore une fois c’est rare, c’est-à-dire qu’il y a quand même des tas de séances où il ne se passe rien, il y a des tas de séances pour rien, où on se dit vraiment mais qu’est ce qu’on fout là ? Où je n’ai ni rêve à apporter ou aucune association digne de ce nom ne me vient à l’esprit, alors sans doute que je les censure également. Alors des séances comme ça il y en a quand même des tas. Et on se dit qu’on a jeté de l’argent par les fenêtres à ce moment-là. Ça fait parti du pris à payer. 

 


Patrick Guyomard
On dit la psychanalyse est un symptôme de l’époque ça ne veux pas dire que l‘époque se porterait mieux si on supprimait la psychanalyse. Mais ça veut dire que la psychanalyse devient le lieu où se déposent des questions qui ne peuvent pas forcément trouver leur issue ailleurs. Après tout la psychanalyse a commencé comme ça ; c’était du temps de Freud le seul lieu où une femme, un homme pouvait parler de sa vie sexuelle. Déposer la question de sa vie sexuelle, sans censure, en toute liberté, sans jugement, sans savoir quoi en faire, en étant dépassé par ça et sans qu’on lui dise rien. Et ça reste, je dirais, quelque chose d’incontournable, on voit des patients qui viennent nous voir par ce qu’il n’y a que dans le cadre de l’analyse qu’ils peuvent déposer des questions et des paroles qui les tourmentent, qui les portent en même temps, qui sont des questions vitales et qui ne pensent pas pouvoir déposer et déployer ailleurs.

Est ce qu’il est toujours et beaucoup question de sexualité dans une analyse ?

Paradoxalement oui. Alors si je dis paradoxalement c’est que ça ça m’étonne, ça me surprend moi-même. Mais oui oui absolument et je dirais presque de plus en plus. Alors je sais pas pourquoi je dis de plus en plus mais en fait je dis de plus ne plus. Oui oui absolument. On aurait pu penser que au fond et on le pense d’une certaine façon que la liberté de la vie sexuelle, dans tous les domaines, liberté conquise, liberté plus ou moins facile fait que après tout on n’aurait plus besoin tellement venir voir un analyste pour lui parler de ça. Sauf que quelque soit la raison pour laquelle on vienne voir un analyste on finit toujours par parler de sa sexualité. Mais quand on parle de la sexualité on ne parle pas que de la sexualité par ce qu’on fond on s’aperçoit que le sexe n’est jamais que le sexe et qu’il y a toujours autre chose que la sexualité dans la sexualité. Mais la sexualité elle est là incontestablement et je dirais encore plus qu’avant sous la forme des jouissances, c’est-à-dire des addictions, tout ce que nous nous appelons le pulsions partielles ; le plaisir d’entendre, de voir, de manger, de dévorer, tous ces objets offerts à la jouissance et à la consommation dont il est tout à fait claire que beaucoup de patients ne peuvent pas s’en passer, vivent avec, le nombre de gens qui fument de l’herbe et qui s’interrogent eux-mêmes, « Pourquoi je ne peux pas m’en passer ? », « Est ce que ça me fait du bien ou du mal ? », « Je ne peux pas vivre sans », là on est en plein dans la sexualité. On est dans une sexualité orale, un peu génitale mais dans ce cas là plutôt orale olfactive très primaire, très primitive qui d’ailleurs interrogent les patients eux-mêmes. Je vois des patients qui viennent me voir par ce que ça fait 20 ans qu’ils fument de l’herbe et ils ne savent pas comment arrêter.

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Christophe Paradas

Il faut se méfier par ce que les gens disent comme ça « ah oui si ça me déclenche de l’euphorie c’est que je suis enfin advenue à la castration comme on dit en psychanalyse. C’est comme ça qu’on dit, l’enjeu c’est la castration. Mais il n’y a pas de diplôme. C’est pas un moment d’euphorie qui bien valider comme un tampon ce dont il s’agit. C’est plutôt des retrouvailles avec la vivance de son enfance, avec le génie non entravé de sa propre enfance, les retrouvailles avec l’absence de préjugés, la liberté de penser un peu hors des sentiers battus. C’est plutôt de cet ordre là. C’est plutôt une curiosité retrouvée. Une curiosité de vivre. C’est plutôt comme ça. Qui sont des petits signes qui fait tiens ça fonctionne cette analyse, il se passe quelque chose qui fait que quelque chose se remet en mouvement… […] 
Trouver une route pour dire quelque chose qui lui échappe complètement mais qui est de cet ordre là, être vivant.

Didier Pourquery

Pourquoi ça allège la tristesse ?

Ça la canalise, plutôt. Si vous voulez le livre que j’ai écrit L’été d’Agathe, que j’ai écrit donc 7 ans après la mort d’Agathe, que j’ai commencé à écrire 7 ans après la mort d’Agathe, c’est un livre qui a été rendu possible par l’analyse. Mais le travail d’analyse pourquoi, pourquoi je l’ai entrepris ? non pas par ce que après la mort d’Agathe j’étais déprimé par ce que de toute façon, depuis l’enfance je suis comme ça. On apprend ça. Moi je le savais. La dépression infantile, quand vous êtes dans la dépression infantile vous ne le savez pas. Vous vous en apercevez des années après. Des années après, vous regardez vos photos d’enfants et vous dites « c’est dingue ça! Je regarde un enfant, qui est moi, en tout cas ça a l’air, et c’est un enfant qui ne sourit jamais.Et donc c’est bizarre ça. »  Après il y a des épisodes il y a des épisodes qui font que vous renouez avec votre dépression infantile. Ce que je raconte c’est peut-être faux théoriquement mais en tout cas c’est ce que j’ai vécu moi. Après la maladie, j’ai eu des gros problèmes cardiaques, donc après un quatrième infarctus j’ai été vraiment plombé, vous savez la maladie, l’hôpital c’est des endroits où vous retrouvez le cocon, une sorte de cocon, et il se passe des choses très fortes dans un hôpital évidemment. Et donc pour répondre à votre question, l’analyse elle est pas là pour sortir de la dépression, elle est là pour remettre tout en perspective et pour remettre les choses dans l’ordre. Enfin, en tout cas, pour moi. […] C’est une analyse qui permet d’avancer, de tenir debout et de prendre des décisions. Le travail est un vrai travail. Quand on dit un travail, vous savez il y a des mots comme ça qu’on n’entend plus tellement ils sont usés. Mais le travail analytique c’est un vrai travail, et c’est un travail en commun, c’est un travail collaboratif avec l’analyste. Par ce que le travail que vous allez faire c’est un travail de longue haleine dans lequel vous allez voir des moments de doute, j’en sais rien moi les histoires de transferts tout ça moi je ne veux pas savoir, mais en tout cas des moments où vous vous sentez proche de l’analyste, il y a des moments où vous êtes en colère contre l’analyste, c’est un travail mais c’est aussi un jeu dans le sens où quelques fois… la première séance du matin, j’avais une séance le matin tôt, c’est bien ça par ce que vous vous dites c’est bien de commencer la journée avec ça, en même temps, en y allant, en marchant souvent je me disais « j’ai envie de parler de ça » et le temps que je me retrouve sur le divan c’était tout à fait autre chose qui sortait mais c’était pas autre chose. C’était la même chose mais un peu plus loin. C’est donc un processus où il y a des surprises. Et c’est ça qui est bien. C’est à dire qu’il y a des moments où on a l’impression d’avoir découvert quelque chose qu’on ne savait pas sur soi, mais pas du tout. Quand je dis « quelque chose » je parle de choses très précises, c’est à dire de choses qui se sont passées qui tout d’un coup reviennent et revivent. Ça c’est très puissant. C’est à dire que l’analyse, le travail analytique fait remonter des souvenirs, des moments, je préfère les appeler des moments, qui sont enfouis et tout d’un coup ils apparaissent en pleine lumière. Et le fait qu’ils apparaissent en pleine lumière tout d’un coup ça vous fait avancer.

Catherine Delarue-Breton

Tout le problème du dialogue, des échanges verbaux entre humains c’est que soit on parle pour essayer de se comprendre, soit on parle pour essayer de défendre sa position. C’est pas du tout la même chose mais en psychanalyse c’est la même chose ; il y a cette posture écran qui consiste à parler pour habiller, pour argumenter et pour donner l’impression que c’est ça que l’on élabore comme sens à partir de telle situation et de tel phénomène alors qu’en réalité on continue à construire un écran pour ne pas atteindre la signification profonde que l’on n’a pas envie de rencontrer à ce moment là. En générale on a envie de la rencontrer mais c’est pas forcément le moment et dans ces cas là on habille beaucoup autour. Donc ça je pense que je l’ai fait beaucoup aussi. Je pense qu’on le fait beaucoup plus au début ou plus exactement, que tout au long de l’analyse on le fait beaucoup sans doute mais qu’au bout d’un moment on habille et puis on déshabille c’est à dire que l’analyste n’a plus besoin de dire « ah vous diriez les choses comme cela ? » ou « vous disiez tout à l’heure que.. » Je pense qu’à la fin on le fait soi-même. […] Le « bien » dans la psychanalyse c’est ça aussi c’est accepter ses caves, moi je parle de mes caves, ces trous, ces manques des personnes chères qui disparaissent les unes après les autres, […] c’est apprendre à vivre bien avec ces caves, avec ses malheurs, avec ses souffrances, humaines.

La « santé psychique » c’est quoi ?

La santé psychique c’est pas la santé mentale […] C’est pourvoir rêver, c’est pouvoir aimer et travailler. C’est désirer.
Désirer c’est à la fois avoir inscrit dans sa vie quelque chose que l’on perd, que l’on n’a plus, que l’on a quitté. Il n’y a pas de désir sans perte, sans manque. Donc d’avoir inscrit la dimension du manque d’une façon qui donne un élan et pas qui aspire en arrière et c’est aussi pouvoir investir et là on est dans le côté d’aimer. Aimer des personnes, des êtres, du travail, travailler avec d’autres… Je pense très profondément que la capacité à pouvoir supporter sa propre haine fait partie de la santé psychique et sa propre intolérance et que c’est une force extraordinaire de savoir que quelque chose d’aussi négatif, en apparence, que la haine nous en avons chacun notre part, c’est pas la peine de la projette sur les autres comme si il n’y avait que les autres qui étaient haineux et que une vie et un désir qui inscrit la part de haine et d’intolérance et de violence que nous avons en chacun de nous-mêmes ça, ça fait partie de la santé psychique considérablement, très durablement. Et ce qui fait partie aussi de la santé psychique c’est de pouvoir avoir perdu ou laisser tomber un certain nombre de fantasmes, – c’est à dire des scénarios, des histoires que l’on se raconte à soi-même comme étant LA réalité, la vérité – que l’on a sur les autres. Ce qu’on appelle la réalité c’est quand même fait de la pluralité des fantasmes que l’on construit, de ce qu’on s’imagine, c’est rarement la réalité telle qu’elle est.
Et le fait d’avoir laisser tomber ses fantasmes, ses croyances fait aussi parti de la santé psychique au sens de ce que ça peut comporter d’ouverture. […] En tout, c’est savoir que rien ne peut tout apporter.


Les patients

Catherine Delarue-Breton (maître de Conférences en sciences du langage à l’ESPE de Créteil-UPEC) ; Kamel (médecin urgentiste) ; Didier Pourquery (journaliste), et Sophie Chauveau (écrivain, essayiste)


Les psychanalystes

Patrick Guyomard, Catherine Chabert, Corinne Ehrenberg, Sarah Contou-Terquem, Christophe Paradas et Clarisse Baruch.

Extraits du film La Maison du docteur Edward d’Alfred Hitchcock

Archives Ina : Marine Decaens

 

Pour écouter l’émission cliquez ici : LSD France Culture – Les étapes d’une psychanalyse

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