UNE SINGULIÈRE CAPACITÉ DE VIVRE

VIVRE AU RISQUE DU DIRE

Extrait du texte écrit par Wanda Dabrowski

Offre m’a été faite d’écrire quant à mon expérience de la psychanalyse, offre qui témoigne d’un lien de travail avec des psychanalystes dans une École. Écrire à partir de l’indicible, à partir de ce qui ne peut pas s’écrire, au coeur du noeud de l’expérience et de la transmission.

Vivre quand quelque chose… ne va pas avec la vie, avec le désir de vivre, avec le sentiment mal assuré de vivre, avec le fait de rêver sa vie plutôt que de la réaliser, telles sont quelques déclinaisons qui peuvent motiver une demande d’analyse et qui ne manquent pas de s’y déployer.

Une analyse mobilise, touche à la capacité de vivre, pas du côté d’une quête d’un sens à trouver à sa vie, mais plutôt en rendant cruciale la question de l’existence, de sa propre existence. Au coeur de cette expérience unique, singulière et spécifique, tout ce qui s’élabore et s’éprouve concerne l’humaine condition qui est de n’avoir pas d’autre possibilité que la parole pour interroger son existence. 

C’est avec la parole qu’il est possible de passer par l’Autre, un analyste, pour retrouver la voie de son désir mais aussi pour frayer un chemin vers ce qui l’a constitué et découvrir sa propre langue.

Être amené à nouer le vivre au dire, c’est avoir pu vivre une expérience d’analyse avec l’orientation décisive, celle du Réel, que Lacan a introduite. La découverte de l’inconscient, nommé comme tel par Freud, a ouvert une béance irrémédiable dans le savoir, et Lacan n’a eu de cesse de maintenir ouverte cette béace, situant ainsi la psychanalyse dans une extraterritorialité radicale par rapport aux autres savoirs. [ … ] Faire une analyse, c’est alors faire le choix de ce qui singularise au détriment de ce qui normative, aucune analyse ne ressemblant à une autre. Chance est alors donnée pour que soit touchée la capacité de vivre, toujours singulière. [ … ] Une question alors se pose : dans l’expérience, à partir de quoi fonder un sentiment de vie ? J’ai pu l’apprendre de l’analyse qui se trouve intimement nouée à l’expérience de vie et qui a amené à remettre en question de façon radicale, voire abandonner des choix effectués. 

Comment continuer à vivre (ainsi) ? 

[ … ] Il faudra beaucoup de temps – incontournable temporalité – dans la cure pour que ce moment d’effroi rencontré arrive à se dire, et qu’il en soit fait cas dans le cheminement de la cure. Le nouage de la névrose – à savoir de mon bricolage psychique pour tenir au coeur de ce tout – avait fait consister, tant était redoutable le risque d’abandon, une excessive demande d’amour et de reconnaissance dans une position d’abnégation et de dévouement à l’autre. Ce qui insistait, c’était une épreuve douloureuse à se risquer à prendre la parole, en dehors du cercle intime, un souci constant que la parole reste normée, pour tenter d’endiguer une extrême sensibilité. Certes, cette sensibilité du corps trouvait vibrations dans l’écoute soutenue de la musique classique et des voix d’opéra, ainsi que dans la lecture assidue de textes littéraires, mais n’offrait pas d’allègement au malaise de vivre, le corps restant hors jeu

Du corps à la parole

[ … ] Tout allait bien en apparence, cependant le désir demeurait très accroché à l’idéal parentale de réussite, et un vécu d’étrangeté persistait avec une certaine absence à soi-même, le traumatisme de l’enfance étant resté dans le silence. 

PERDRE ?, MOI ?, JAMAIS.

Extrait du texte d’Anne Dufourmantelle, Intelligence du rêve, Manuels Payot, 2012, dans lequel l’auteure interroge aussi les figures symboliques de l’ange, du génie poétique et du daimôn, messagers de la parole comme le rêve l’est de notre plus secrète identité.

Aux abords du trauma

Le rêve construit des scénarios dont nous sommes les héros secrets, nous offrant ainsi, en dépit du danger ou grâce à lui, une royauté reconquise. La jeune adolescente au moment de ses règles devrait comprendre qu’il est temps de se séparer de sa mère, de conquérir un espace propre qu’elle ne devra qu’à son courage, sa détermination, sa confiance en la vie aussi. La mélancolie est parfois, dit J-P Winter*, le signe que nous avons abdiqué et que nous le savons ; elle nous hante de ce savoir que nous aurions dû ou pu combattre, au moins nous révolter, et que nous n’en avons pas eu la force. Elle trahit ce silence secret, c’est pourquoi elle est toujours aussi une colère.

Tu as tout perdu, ton sac, tes papiers, tu n’as plus rien. 

Comment le rêve peut-il aller en deça de l’objet perdu de la mélancolie ? Une vie entière ne suffit pas toujours à surmonter cela : pour naître nous commençons par perdre ce monde matriciel qui, neuf mois, nous a portés, cette voix maternelle qui nous a imaginés ou redoutés, chantés, attendus, délivrés.

LE JOUR OÙ J’AI PRIS LA DÉCISION D’ALLER CONSULTER ‘QUELQU’UN’

Qu’est ce qui nous amène un jour à consulter un psychanalyste ?

Je partage avec vous ici le premier épisode d’une série de quatre documentaires émis sur France Culture en Septembre 2016. 

‘ L’envie de se cacher dans un cabinet de psychanalyste et de comprendre enfin comment ça se passe, ce qui se passe, ce qui se dit et comment ça se dit. De savoir si ça fait du mal ou si ça fait du bien. De savoir si ce psychanalyste est comme le mien, s’ils sont tous pareils ou si ce cabinet ressemble à celui qu’on a fréquenté. Et puis aussi on voudrait que l’analyste avoue. Est-ce qu’il souffre ? Est ce qu’elle compatit ? Est ce qu’il rêve ? Est ce qu’elle s’ennuie ? Est ce qu’il nous aime ? Et puis enfin surtout comment tout ça va finir ?

N’ÊTRE POUR LA MÈRE

Le repérage de cette féminité de la mère n’est pas sans causer une difficulté à l’enfant, mais elle est structurale et structurante.Le Nom-du-Père ne suffit pas à résorber toute la jouissance de la femme qui est sa mère, ce qui conduit chaque enfant à devoir construire sa réponse singulière. C’est la thèse de ce livre

 » Pourquoi ce chemin plutôt qu’un autre ? « 

Rappelons que c’est dans l’épreuve du désir de l’Autre que se constitue le sujet : « Si le désir de la mère est le phallus, l’enfant veut être le phallus pour la satisfaire [ … ] » mais « [ …] ce qu’il a ne vaut pas mieux que ce qu’il n’a pas [ … ] ». Alors, face à quoi se trouve-t-il ?

LE GÉNIE DU DÉTAIL

Chaque détail, dans un rêve, figure le rêve entier.

Apparait un petit enfant aux bottines rouges, tu t’étonnes qu’il soit laissé seul. Tu approches ta main pour le toucher. Tu es pieds nus maintenant, la ville s’ouvre sur une rivière sauvage. Il y a un oiseau rouge devant toi qui entre dans l’eau et disparaît à son tour.

Pourquoi rouge ?

ALORS MOI AUSSI JE DIS NON ?

Pas de Ça, chez nous

Article écrit par Marianne Carabin

Ça parait simple comme bonjour.
Une rencontre comme il y en a mille. Une rencontre comme une autre. Un homme ? Une « femme ». Un bal. Une fête. Un regard. Une danse. Un baiser. Stop. Ça devrait s’arrêter là.
On ne veut plus savoir. Après ça, on ne veut plus savoir.

QU’EST-CE QU’UN HOMME ?

III

Viarregio, près Pise (Italie), le 13 avril 1903.

Au vrai, la vie créatrice est si près de la vie sexuelle, de ses souffrances, de ses voluptés, qu’il n’y faut voir que deux formes d’un seul et même besoin, d’une seule et même jouissance. Et si, au lieu de « rut », on pouvait dire « sexe » dans le sens pur, élevé et large de ce mot, libéré des suspicions de l’Église, l’art de Dehmel serait très haut et de la meilleure source. Sa puissance poétique est grande, forte comme un instinct. Elle a des rythmes à elle, sauvages : elle jaillit comme d’un roc. Mais cette force n’est pas toujours sincère, elle ne va pas sans quelque pose (c’est là une des plus dures épreuves du créateur : il doit rester dans l’ignorance de ses meilleurs dons, ne pas même les pressentir, au risque de la priver de leur ingénuité, de leur virginité). Quand la puissance qui subjugue son être rencontre la sexualité, elle ne trouve pas en Dehmel un homme aussi pur qu’il le faudrait. Son monde de l’amour n’est pas tout à fait mûr, pas tout à fait purifié, pas assez humain ; ce n’est que l’instinct du mâle : c’est du rut, de l’ivresse, de l’inquiétude : il est chargé de ces façons et de ces préjugés qui défigurent l’amour. Parce qu’il n’éprouve l’amour qu’en mâle, et non en homme, il y a en lui quelque chose d’étroit, de sauvage, dirai-je, de haineux, de passager : il y a du « non éternel » qui rabaisse son art et le rend équivoque et douteux. Cet art n’est pas sans taches : il porte la marque du moment et de la passion. Peu en restera.

INQUALIFIABLEMENT SEULS

Les oeuvres d’art sont d’une infinie solitude

Tout est d’abord mené à terme, puis mis au monde. Laisser s’épanouir toute impression et tout germe d’un sentiment au plus profond de soi, dans l’obscurité, dans l’ineffable, dans l’inconscient, dans cette région où notre propre entendement n’accède pas,

LE MAL DE VIVRE

Barbara

‘Je plains ceux qui ne connaissent pas le mal de vivre. Il leur manque quelque chose pour entendre celui qui est en face. Je crois qu’il faut traverser des déserts et je crois même que ceux qui n’en ont jamais traversé sont des infirmes. On ne connaît le mal de vivre que lorsqu’on en connaît la joie.’

– Entretien avec Michèle Manceaux, paru en 1981 dans Marie-Claire
Photo (c) Claude Picasso

Le mal de vivre vit loin de la plainte de vivre.

Le mal de vivre ne se complaît pas, lui. Il n’a pas vue sur un autre soi-disant responsable de son état d’être manquant. Il a simplement atteint l’état de désespérance. Cet état redouté bien que nécessaire duquel il est bien possible de ne jamais s’extraire. Nécessaire à la joie tranquille, à la joie silencieuse qui autorise le ralentissement et offre une porte de sortie aux effervescences effrénées des incessantes injonctions aux bonheurs. Il s’agit ici de la joie. La joie qui, toujours est paisible parce qu’il y a en elle tout l’espace d’un improbable soulagement. Aucune promesse. La joie est toujours tranquille. 

MC