ALORS MOI AUSSI JE DIS NON ?

Pas de Ça, chez nous

Article écrit par Marianne Carabin

Ça parait simple comme bonjour.
Une rencontre comme il y en a mille. Une rencontre comme une autre. Un homme ? Une « femme ». Un bal. Une fête. Un regard. Une danse. Un baiser. Stop. Ça devrait s’arrêter là.
On ne veut plus savoir. Après ça, on ne veut plus savoir.

QU’EST-CE QU’UN HOMME ?

III

Viarregio, près Pise (Italie), le 13 avril 1903.

Au vrai, la vie créatrice est si près de la vie sexuelle, de ses souffrances, de ses voluptés, qu’il n’y faut voir que deux formes d’un seul et même besoin, d’une seule et même jouissance. Et si, au lieu de « rut », on pouvait dire « sexe » dans le sens pur, élevé et large de ce mot, libéré des suspicions de l’Église, l’art de Dehmel serait très haut et de la meilleure source. Sa puissance poétique est grande, forte comme un instinct. Elle a des rythmes à elle, sauvages : elle jaillit comme d’un roc. Mais cette force n’est pas toujours sincère, elle ne va pas sans quelque pose (c’est là une des plus dures épreuves du créateur : il doit rester dans l’ignorance de ses meilleurs dons, ne pas même les pressentir, au risque de la priver de leur ingénuité, de leur virginité). Quand la puissance qui subjugue son être rencontre la sexualité, elle ne trouve pas en Dehmel un homme aussi pur qu’il le faudrait. Son monde de l’amour n’est pas tout à fait mûr, pas tout à fait purifié, pas assez humain ; ce n’est que l’instinct du mâle : c’est du rut, de l’ivresse, de l’inquiétude : il est chargé de ces façons et de ces préjugés qui défigurent l’amour. Parce qu’il n’éprouve l’amour qu’en mâle, et non en homme, il y a en lui quelque chose d’étroit, de sauvage, dirai-je, de haineux, de passager : il y a du « non éternel » qui rabaisse son art et le rend équivoque et douteux. Cet art n’est pas sans taches : il porte la marque du moment et de la passion. Peu en restera.

INQUALIFIABLEMENT SEULS

Les oeuvres d’art sont d’une infinie solitude

Tout est d’abord mené à terme, puis mis au monde. Laisser s’épanouir toute impression et tout germe d’un sentiment au plus profond de soi, dans l’obscurité, dans l’ineffable, dans l’inconscient, dans cette région où notre propre entendement n’accède pas,

LE MAL DE VIVRE

Barbara

‘Je plains ceux qui ne connaissent pas le mal de vivre. Il leur manque quelque chose pour entendre celui qui est en face. Je crois qu’il faut traverser des déserts et je crois même que ceux qui n’en ont jamais traversé sont des infirmes. On ne connaît le mal de vivre que lorsqu’on en connaît la joie.’

– Entretien avec Michèle Manceaux, paru en 1981 dans Marie-Claire
Photo (c) Claude Picasso

Le mal de vivre vit loin de la plainte de vivre.

Le mal de vivre ne se complaît pas, lui. Il n’a pas vue sur un autre soi-disant responsable de son état d’être manquant. Il a simplement atteint l’état de désespérance. Cet état redouté bien que nécessaire duquel il est bien possible de ne jamais s’extraire. Nécessaire à la joie tranquille, à la joie silencieuse qui autorise le ralentissement et offre une porte de sortie aux effervescences effrénées des incessantes injonctions aux bonheurs. Il s’agit ici de la joie. La joie qui, toujours est paisible parce qu’il y a en elle tout l’espace d’un improbable soulagement. Aucune promesse. La joie est toujours tranquille. 

MC

INTRANQUILLE

Extractions 

174, L.I. (…)

C’est vrai, je n’ai pas dormi, mais je me sens mieux ainsi, quand je n’ai pas dormi du tout et ne dors pas non plus. Je suis vraiment moi dans cette éternité fortuite, symbolique de cet état de demi-âme où je m’abuse moi-même. Des gens me regardent avec l’air de me reconnaître, mais semblent me trouver bizarre. Je sens que je les regarde aussi, avec des orbites sensibles sous mes paupières qui les frôlent, et je ne veux surtout rien savoir du monde.

J’ai sommeil, tellement sommeil, le sommeil tout entier !

213, L.I.

Tout m’échappe et s’évapore. Ma vie entière, mes souvenirs, mon imagination et son contenu, ma personnalité enfin – tout m’échappe, tout s’évapore. Sans cesse je sens que j’ai été autre, que j’ai ressenti autre, que j’ai pensé autre. Ce à quoi j’assiste, c’est à un spectacle monté dans un autre décor. Et c’est à moi-même que j’assiste. (…) Il y a dans tout cela un mystère qui m’amoindrit et m’oppresse. (…) De qui donc, mon Dieu, suis-je ainsi spectateur ? Combien suis-je ? Qui est moi ? Qu’est-ce donc que cet intervalle entre moi-même et moi ?