LE SYMPTÔME AUJOURD’HUI

Voici le verbatim de l’intervention de Madame Catherine Vanier au colloque d’Espace Analytique, « Clinique psychanalytique du symptôme » *

Tristan, 7 ans 

Je vais essayer à propos de symptôme et de modernité de vous parler très brièvement d’une famille que j’ai reçue il y a très peu de temps, que je viens de recevoir. Un petit garçon, appelons-le Tristan, il a 7 ans et il vient pour un premier rendez-vous accompagné de ses parents pour des troubles du sommeil apparus récemment : endormissement difficile et tardif, nuits agitées, réveils occasionnés par des cauchemars, qui certaines nuits peuvent se répéter toutes les heures, et qui se terminent à chaque fois dans le lit des parents. « Il vient toujours de mon côté » précise la mère « parce que, moi, je suis la seule à pouvoir le rassurer. » Certains matins, Tristan, épuisé, n’arrive même plus à aller en classe. La directrice de l’école conseille à la famille de consulter. Les voilà donc venus, m’expliquer qu’il fallait de toute urgence trouver une solution pour résoudre ce problème, ce problème récent auquel ils n’étaient pas habitués, au plus vite. D’ailleurs toute la famille est à bout, y compris Agathe. Les parents me parlent beaucoup d’Agathe, la grande soeur de 9 ans qui avait d’ailleurs dit récemment que si son frère continuait à réveiller la nuit, c’était pas compliqué, elle quitterait la maison. Ce qui a beaucoup paniqué les parents. Le père me dit « Tout doit rentrer dans l’ordre. Faites quelque chose et surtout, surtout, surtout qu’on n’en parle plus ! »

Mais justement, ça tombait mal, puisque moi ce que je leur proposais c’était de me parler de Tristan.

« Bah!, qu’est ce que vous voulez qu’on vous en dise ? A part ça, tout va bien. Tout va bien. Tristan a toujours été un bébé facile, adorable, sans problème, sans histoire, on ne l’entendait pas. A peine si on le voyait. » Très collé à la mère avec qui il a toujours été très « intime » me dit le père. « Intime » est un mot employé par le père, « ainsi qu’avec sa soeur d’ailleurs qu’il aime beaucoup, mais c’est quand même normal pour un petit garçon d’être « intime » avec sa mère. »

Bon.

Agathe, de son côté, on me la décrit comme merveilleuse ; enfant diagnostiquée précoce, très brillante à l’école, elle tient une place énorme dans cette famille apparemment. On me dit d’elle « c’est le soleil de notre maison. » D’ailleurs, précisent les parents, depuis l’âge de 3 ans, Tristan dit qu’il veut être une fille. Comme Agathe. Hors de question qu’il soit un garçon. Il porte les vêtements de sa soeur, joue avec ses jeux et nous disait vers l’âge de 2 ans et demi, 3 ans qu’il était vraiment très, très triste d’être un garçon. « Ça, plus besoin d’en parler. Cette question, heureusement, est aujourd’hui réglée. » m’annoncent les parents. Le problème va être résolu prochainement. Alors comme je suis un peu surprise et que je leur demande comment ils comptent le résoudre le problème, ils m’expliquent que de nos jours, on peut tout à fait choisir d’être garçon ou fille. La science donne cette possibilité. Alors pas question qu’il en souffre toute sa vie. Notre pédiatre nous a parlés d’un centre hospitalier et d’un service où la réassignation hormono-chirurgicale, à Paris, est possible et peut être proposée pour ce qu’on appelle « les troubles de l’identité sexuée. Alors nous avons inscrit Tristan sur leur liste d’attente pour avoir un rendez-vous. Bien sûr, comme toujours à l’hôpital l’attente risque d’être un peu longue et il faut donc patienter. Vous vous rendez compte, dans un premier temps le médecin voulait que nous rencontrions un pédo-psychiâtre. Mais pour quoi faire ?! Le convaincre que c’est mieux d’être un garçon que d’être une fille ? Mais au nom de quoi ? Et qu’en savons-nous ? Et pourquoi vouloir le faire changer d’avis puisqu’il sera plus heureux comme ça. Apprendre que c’était maintenant possible nous a tous vraiment rassurés et depuis nous n’en parlons plus jamais à la maison. »

Ils se décrivent, par ailleurs, comme des parents très à l’écoute de leurs enfants, oui j’entends bien, et faisant tout pour qu’ils se réalisent pleinement dans leurs désirs et dans leur créativité. Pour eux, m’expliquent ils, être fille ou garçon est une affaire devenue aujourd’hui « secondaire ». Impossible, me semble-t’il de questionner les parents d’avantage. Tout cela, en effet, ne posait apparemment aucun problème. Tout était normal et leur semblait d’une logique évidente.

Bien sûr, je savais qu’avant d’entrer dans le protocole de ce service, ils seraient Tristan et eux longuement reçus et emmenés à en parler d’avantage. Ils iront en parler, mais seront-ils entendus ? Que se jouait-il pour eux dans cette radicale absence de questionnement ? Auront-ils, cette fois-là, la possibilité d’en parler puisqu’apparemment ici, ça n’était pas possible.

Alors revenant au seul symptôme, le seul qui m’était autorisé et qui avait motivé leur prise de rendez-vous, je leur demande « est-ce que quelque chose de particulier c’est passé au moment où les troubles du sommeil sont apparus ? » C’était au mois de janvier. Ils me répondent « Non, rien de particulier. Ah, évidemment janvier, c’est le mois où nous l’avons inscrit sur la liste d’attente. Pensez-vous que ce soit l’idée d’avoir encore à attendre qui l’empêche de dormir ? Pourtant, il n’en a jamais reparlé depuis. »

Dans les séances suivantes, j’ai reçu Tristan seul. C’était un bel enfant, timide et effacé presque transparent, de petite taille pour son âge. Il me semblait un peu triste. Il parlait peu mais me parlait de faire disparaître ses insomnies. Il ne m’a jamais parlé de ce rendez-vous à l’hôpital mais décrivait avec beaucoup de détails les monstres qui le hantaient le soir, prenant soin après chaque dessin de me demandait de bien fermer à clef le tiroir où j’allais le ranger pour être sûr qu’ils ne reviennent pas le voir la nuit tombée. Puis il me disait « maman m’a dit que c’est comme ça qu’il faut faire et que c’est comme ça que ça marche. »

Fidèle à sa définition d’enfant parfait, en quelques séances, les cauchemars disparurent et Tristan put reprendre le chemin de l’école et toute la famille fut ainsi rassurée. Les parents satisfaits décidèrent, contre mon avis, de ne plus prendre de rendez-vous. Toute tentative de ma part pour les en dissuader me semblait impossible malgré mon incertitude face à ce soit disant succès rapide, à l’occasion juste de ces quelques consultations.

Vous savez bien c’est jamais très bon signe, on sait ça, quand il y a cette fuite comme ça dans la guérison.

Ma seule initiative, à ce moment-là, au moment de leur départ, fut de m’adresser à Tristan en lui disant que s’il voulait, maintenant qu’il savait que c’était possible de parler, de parler de ce qu’il voulait, il pourrait peut-être demander à ses parents de revenir me voir. En partant, les parents confirment qu’ils n’hésiteraient pas bien-sûr à me recontacter, mais qu’ils ne pensaient pas que ce serait nécessaire maintenant que tous les problèmes étaient résolus il n’y aura certainement plus aucun soucis. 

Quinze jours plus tard

Je reçois un appel téléphonique du père me disant que Tristan, à la suite de malaises à répétition, avait été hospitalisé à Necker pour bilan, tout d’abord en pédiatrie puis, en neurologie. « Vous vous rendez compte me dit le père, ils n’ont rien trouvé. Ils ne comprennent pas ce qui se passe. Mais comment c’est possible ? , des médecins pareils ? aussi extra-ordinaires, aussi perfectionnées, avec les outils scientifiques qu’ils ont ?! Comment est-ce qu’ils ne trouvent pas une solution ? Ils disent juste de reprendre rendez-vous avec vous. On ne comprend rien. » Je prends le risque de demander ce que pense Tristan de tout ça, le père me répond « oh bah ça Tristan il n’a rien dit. Non, il n’a rien dit mais il reviendra vous voir si on lui dit de le faire. »

J’accepte de revoir Tristan et j’espère cette fois essayer de comprendre si, lui, me demande quelque chose. Pourquoi n’a t’il pas d’autre choix que, non content d’être transparent et discret, il s’absente maintenant au point de s’évanouir à répétition et d’être conduit à Necker ? Mais comment travailler avec les parents et c’est une question que l’on peut se poser aujourd’hui pour pas mal de situations ; comment travailler avec les parents face à cette fascination pour les réponses toutes faites de la science, face à ce savoir absolu qui les aveugle et qui leur permet de ne plus se demander l’effet de tout cela, sur eux ou sur leur fils ? Existera t’il une possibilité de se poser la question de la vérité de ce petit garçon en souffrance ? Et qu’en est il pour ces parents-là ? Que se passe t’il dans notre monde actuel lorsque la modernité se propose d’éradiquer le symptôme en effaçant au coup par coup chacune de ses manifestations ?, que ce soit par une réponse rééducative, médicamenteuse ou chirurgicale ?

Dans l’optique d’une politique du symptôme, mon propos est de questionner la façon qu’a notre monde moderne de répondre au symptôme aujourd’hui.

Je laisse à Tristan le soin de conclure :

Je ne l’ai revu seul qu’une seule fois. lors de cette séance, il dessina une usine me disant qu’il avait vu ça à la télé. Une usine avec à côté une cave qu’on avait creusé et dans laquelle on avait enterré les produits dangereux. Il me dit comme ça : « si c’est enterré, personne ne sera embêté. » Puis, l’air très interrogatif il me demande « mais, toi ? tu crois qu’un jour ça peut quand même exploser et tout détruire autour ? »


 * Catherine Vanier, pour visionner son intervention au colloque d’Espace Analytique du 16 Mars 2019 :

 Clinique psychanalytique du symptôme (14’ – 26’15)

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