À LA VIE ARRÊTÉE

PORTRAIT INTÉRIEUR

 

Ce soir quelque chose dans l’air a passé

Qui fait pencher la tête ;

On voudrait prier pour les prisonniers

Dont la vie s’arrête.

Et on pense à la vie arrêtée…

A la vie qui ne bouge plus vers la mort

Et d’où l’avenir est absent ;

Où il faut être inutilement fort

Et triste, inutilement.

Où tous les jours piétinent sur place,

Où toutes les nuits tombent dans l’abîme,

Et où la conscience de l’enfance intime

À ce point s’efface,

Qu’on a le coeur trop vieux pour penser un enfant.

Ce n’est pas tant que la vie soit hostile ;

Mais on lui ment, 

Enfermé dans le bloc d’un sort immobile.


Rainer Maria Rilke, Vergers et autres poèmes

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