L’OS D’UNE CURE – J.A MILLER

Je croyais que cela marcherait tout seul, mais voilà, il y a un os !

No meio do caminho tinha uma pedra

tinha uma pedra no meio do caminho

tinha uma pedra

no meio do caminho tinha uma pedra

 

C’est une très exacte allégorie (…) Ce poème dit bien ce qu’il veut dire, en répétant tinha uma pedra (…)

Cette répétition insistante, qui se prolonge ensuite dans l’appareil psychique, rend sensible l’obstacle que représente la pierre. L’insistance répétitive manifeste la présence même de la pierre dans son caractère incontournable au milieu du chemin. 

Si le langage servait seulement à exprimer une signification, il suffirait de dire une seule fois No meio do caminho tinha uma pedra. Ce serait une constatation, disons de façon un peu pédante, un énoncé dénotatif signalant l’existence d’une pierre au milieu du chemin. Mais la répétition signifiante avec des variations positionnelles et syntaxiques enrichit la signification de tout le poids de la pierre et élève ainsi celle-ci rang de l’obstacle fondamental, qui m’empêche de poursuivre le chemin que j’ai décidé de parcourir. C’est l’obstacle qui entrave mon intention, bloque mon mouvement et m’oblige à répéter l’énoncé de l’évidence. Cette évidence s’impose à moi au point que j’en suis réduit à psalmodier mon malheur, le malheur de ce que je rencontre sur mon chemin. 

 

Mais attention ! Pour me faire comprendre, je viens de dire “je”, “mon chemin”, mais dans le premier vers du poème, il n’y a ni je ni mon chemin. C’est au contraire énoncé d’une façon impersonnelle. La répétition signifiante appelle justement le sujet, le lecteur, le récitant ( j’avais lu, personnellement le “réticent” ). Elle l’appelle à venir se placer là sur le chemin comme étant son chemin. Elle le convoque à être affecté par cette pierre comme un obstacle à sa progression, obligeant le sujet de l’énonciation à répéter l’évidence de cette présence. 


Miller, J-A, L’os d’une cure, Navarin, 2018, p.8

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