INCIPIT VERS LA BEAUTÉ

Vers la beauté

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 » Le musée d’Orsay, à Paris, est une ancienne gare. Le passé dépose ainsi une trace insolite sur le présent. Entre les Mante et les Monet, on peut se laisser aller à imaginer les trains arrivant au milieu des tableaux. Ce sont d’autres voyages maintenant. Certains visiteurs ont peut-être aperçu Antoine Duris ce jour-là, immobile sur le parvis. Il paraît tombé du ciel, stupéfait d’être là. La stupéfaction, c’est bien le mot qui peut caractériser son sentiment à cet instant.

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( … )

Quelque mètres plus tard, il répéta la raison de sa visite. Une jeune femme vérifia dans un grand carnet noir :

«  Vous êtes monsieur Duris ? « 

  • – Oui.
  • – Puis-je vous demander une pièce d’identité ?
  • – … »

C’était absurde. Qui voudrait se faire passer pour lui ? Il s’exécuta docilement, accompagnant son geste d’un sourire compréhensif pour masquer sa gêne. L’entretien d’embauche semblait avoir déjà débuté avec le vigile puis la standardiste. Il fallait être performant dès le premier bonjour, on ne tolérait plus le moindre merci approximatif. Après que la jeune femme eut vérifié qu’il était bien Antoine Duris, elle lui indiqua le chemin à suivre. Il fallait longer un couloir, au bout duquel il trouverait un ascenseur. «  C’est facile, vous ne pouvez pas vous tromper. », ajouta-t-elle. Antoine se doutait qu’avec ce genre de phrase, il se tromperait immanquablement.

Au milieu du couloir, il ne savait déjà plus vraiment ce qu’il devait faire. De l’autre côté de la baie vitrée, il aperçut un tableau de Gustave Courbet. La beauté demeure le meilleur recours contre l’incertitude. Depuis des semaines, il luttait pour ne pas sombrer. Il sentait qu’il avait peu de forces, et les deux interrogatoires qui s’étaient déjà enchaînés lui avaient demandé un effort considérable. Pourtant, il ne s’était agi que de prononcer quelques mots, de répondre à des questions ne comportant pas le moindre piège. Il était revenu à un stade primaire de la compréhension du monde, se laissant souvent envahir par des peurs irrationnelles. Il sentait chaque jour davantage les conséquences de ce qu’il avait vécu. Allait-il seulement être capable de passer cet entretien avec madame Mattel ? « 

( … )


Foenkinos, D., Vers la beauté, Gallimard, 2018

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