INTIME

L’espace où le sujet peut se tenir et s’éprouver hors du regard de l’Autre. Un espace en exclusion interne, une île, ce qu’on nomme à l’occasion le chez-soi, où le sujet échappe à la supposition même d’être regardé. C’est la possibilité du cacher. Il peut se faire qu’il n’y ait pour un sujet aucun lieu où il puisse ainsi échapper à cette supposition. Cela donne une idée de l’enfer.

LE CHAT ET LA SOURIS

Il existe de grandes similitudes entre analyse et écriture.
D’abord, dans l’un et l’autre cas, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, elles mobilisent une énergie si totale que s’en instaure un déplaisant état d’indisponibilité à tout ce qui leur est étranger – c’est-à-dire, en fait, tout le reste.
Ensuite, par le biais du regard intérieur qu’elles imposent, soit qu’il se concentre en propre sur l’univers mental où les temps se bousculent, soit sur l’exigence des personnages qui habitent leur créateur, l’une et l’autre impliquent un dédoublement dressant, entre celui qui les pratique et le monde extérieur, une cloche de verre ouatant les rumeurs de la vie.
Pas d’avantage que ceux qui n’ont jamais côtoyé la folie, ceux qui n’ont pu pénétrer au coeur de ce point focal de l’isolement ne peuvent comprendre ce que signifie une coupure absolue, ni le sens profond du mot « ailleurs ».

ESSAIS DE PSYCHANALYSE – FREUD SIGMUND

« On constate aisément combien l’individu en foule diffère de l’individu isolé ; mais d’une pareille différence les causes sont moins faciles à découvrir.
pour arriver à les entrevoir, il faut se rappeler d’abord cette observation de la psychologie moderne : que ce n’est pas seulement dans la vie organique, mais encore dans le fonctionnement de la parole que les phénomènes inconscients jouent un rôle prépondérant. La vie consciente de l’esprit ne représente qu’une très faible part auprès de sa vie inconsciente. ( … ) Nos actes conscients dérivent d’un substratum inconscient formé surtout d’influences héréditaires. Ce substratum renferme les innombrables résidus ancestraux qui constituent l’âme de la race. Derrière les causes avouées de nos actes, il y a sans doute les causes secrètes que nous n’avouons pas, mais derrière ces causes secrètes il y en a de beaucoup plus secrètes encore, puisque nous-mêmes les ignorons. La plupart de nos actions journalières sont l’effet de mobiles cachés qui nous échappent. »

LES MOTS DU CHOEUR

Dans la tragédie, on est tranquille. D’abord, on est entre soi. On est tous innocents, en somme ! Ce n’est pas parce qu’il y en a un qui tue et l’autre qui est tué. C’est une question de distribution. Et puis, surtout, c’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, le sale espoir; qu’on est pris, qu’on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu’on n’a plus qu’à crier, — pas à gémir, non, pas à se plaindre, — à gueuler à pleine voix ce qu’on avait à dire, qu’on n’avait jamais dit et qu’on ne savait peut-être même pas encore. Et pour rien : pour se le dire à soi, pour l’apprendre, soi. Dans le drame, on se débat parce qu’on espère en sortir. C’est ignoble, c’est utilitaire.
Là, c’est gratuit.

LA RACINE MÊME DE L’ART

Avant même de savoir si c’est utile, il y a d’abord le fait que c’est bien difficile de s’y dérober parce que, si on s’intéresse et si on se lance dans la psychanalyse, c’est parce qu’on est mordu par un désir de savoir. Un désir de savoir de ce qui est le plus obscur mais aussi le plus passionnant. De tout temps, certains humains, pas tous, se sont passionnés pour les Mystères, les vrais, les grands mystères : l’origine, la sexualité, le rêve, etc. C’est pourquoi il me semblait légitimes de vous avoir lu ce passage de Le Clézio où on voit quelqu’un qui n’est pas psychanalyste mais écrivain, qui est clairement concerné, passionné par quelque chose dont j’ai essayé de vous montrer que c’est la racine même de l’art. Et ça intéresse directement le psychanalyste.

LA COMPULSION DE RÉPÉTITION

C’est ainsi qu’on connaît des personnes dont toutes les relations humaines vont vers la même issue : bienfaiteurs que leurs protégés, si différents soient-ils, abandonnent après quelque temps avec rancune, comme si’l leur était dévolu de boire l’ingratitude jusqu’à la lie ; hommes dont les amitiés s’achèvent par la trahison de l’ami ; ceux qui, de façon indéfiniment répétée, placent quelqu’un d’autre dans une position de grande autorité, soit pour eux seuls, soit aussi pour le public, et qui renversent renversent eux-mêmes cette autorité au bout d’un temps donné pour la remplacer par une autre ; amoureux dont chaque affaire de coeur avec les femmes traverse les mêmes phases et conduit à la même fin, etc. Cet « éternel retour du même » ne nous étonne guère lorsqu’il s’agit d’un comportement actif de l’intéressé et que nous découvrons dans sa nature un trait de caractère immuable qui ne peut que se manifester dans la répétition des mêmes expériences. Nous sommes bien plus fortement impressionnés par les cas où la personne semble vivre passivement quelque chose sur quoi elle n’a « aucune part » d’influence ; et pourtant elle ne fait que revivre toujours la répétition du même destin.

UNE ÉCUME DES JOURS

La pensée dite positive sera toujours et de tout temps en vogue car le quidam, vous comme moi, n’aura de cesse de s’y accrocher aussi longtemps qu’il le pourra. Aussi longtemps qu’il le pourra jusqu’à ce jour béni du retournement de situation qui ne manquera pas de faire évènement dans sa réalité psychique. C’est ainsi, dans le temps de la fin de la première guerre mondiale que Freud remet en question sa première topique fondée sur cette fameuse « pensée positive » pourrait-on dire plus connue aujourd’hui et alors des amateurs de la culture psychanalytique sous le terme de « principe de plaisir ».

C’EST BIEN NATUREL. OUI ?, MAIS QUOI ?

Je pleure. Ce n’est pas essentiel ? J’aime. Je pourrais vivre sans. Comment vivre sans ? A en mourir. Je n’ai pas besoin de musique, d’art, de poésie, de littérature, d’ordinateur, de téléphone, de chemise bleue. Je n’ai pas besoin de déguster, de goûter, de partager ; c’est pourtant ce qui me distingue de la bête. Je n’ai pas besoin de sexe. Ce n’est pas de l’ordre du besoin. Danser. Alors on danse.
(…)
Non, car je ne suis pas une bête.
Et une bête n’est pas une bête !
La matérialité de ma parole, c’est par la différence des signifiants et des signifiances qu’elle se donne à entendre. Il est inessentiel de me lire. Pourquoi faites vous ça ? Vous n’avez pas autre chose à lire et à faire ? J’aimerai chier naturellement, mais c’est impossible !
– Pourquoi en temps de guerre financer la culture, Monsieur Churchill ?
– Et Churchill de répondre : Pourquoi nous battons-nous ?

Voilà, c’est le piège, il n’y a pas de dehors au signifiant. L’inessentiel est la condition de mon humanité.