MERES TOXIQUES : LE TABOU

Ma mère, mon poison

Mardi 21 février
20h30
Documentaire réalisé par Anne-Marie Avouac
FRANCE 5

La diffusion sera suivie d’un débat.


Article écrit par Anne-Laure Buffet 

Ce documentaire, intitulé Ma mère, mon poison, aborde un sujet tabou : la toxicité de certaines mères. Tabou, car on ne s’attaque pas à la sacro-sainte famille, et encore moins à la sacro-sainte mère. Tabou, car oser dire que certaines mères peuvent souffrir d’un mal d’amour, d’une impossibilité de donner de l’amour, d’une carence affective complète qu’elles vont répercuter sur leurs enfants, ou encore, qu’elles peuvent se montrer violentes, cruelles, narcissiques, jalouses de leurs enfants, ou volontairement ignorantes de la souffrance de ceux-ci est encore très risqué. Un telle position réveille la colère de certaine-e-s  : comment peut-on dire cela ? Comment blâmer les mères dans un système sociétal patriarcal depuis des siècles, qui a formaté les femmes, les a conditionnées, maintenues dans un silence obligé, une forme d’omerta dont elles doivent se libérer face à un pouvoir machiste, phallocrate et destructeur ?

La réponse est simple : parce que cela existe pour de vrai.

Car des enfants en souffrance parce qu’ils sont en manque d’amour, parce qu’ils reçoivent des coups et des bons de l’attention bienveillante, parce qu’ils sont réduits à l’état de cendrillon, de « poubelles » des colères et des sentiments négatifs, parce qu’ils doivent compenser des névroses, ou des psychoses maternelles, parce que ces enfants-là sont légion. Et ne pas en parler, c’est participer de cette forme de malveillance, parfois même de crime, c’est contribuer à l’impunité d’une part (impunité pour les mères) et à la violence qui va continuer de se transmettre, de génération en génération.

Que les mères soient conscientes ou non de leurs actes, qu’elles le fassent en reproduisant un schéma familial déjà violent, ou en réaction face à de situations particulièrement difficiles pour elles à supporter, ces mères toxiques existent bel et bien.

Leur meilleure protection tout comme leur meilleure arme est le silence de leurs enfants. Parce qu’une maman ne peut pas ne pas aimer ses enfants et leur vouloir du mal, ceux-ci vont se taire. Ils vont retourner contre eux la violence, ils vont se mettre en danger, adopter des attitudes à risque, se désociabiliser, développer des troubles du comportements… Mais ils vont précieusement garder leur secret terrible ; et personne ne peut deviner ce que leur maman fait, une fois la porte de la maison refermée.

Certes, la littérature n’est pas avare sur le sujet. Poil de Carotte, Vipère au poing, les contes de fées et jusqu’au Livre de ma mère où l’amour est invasif, empêchant l’individualisation de l’enfant, bien des ouvrages abordent ce sujet. Mais tout cela n’est que littérature…
Combien de fois ai-je entendu « Une mère ne peut pas faire ça à son enfant !? », « Non, ce n’est pas possible, une mère aime forcément son enfant ? « . Entre doute, excuse et justification, chacun se défend de connaître, ou pire encore, d’avoir eu une mère toxique. Une mère toxique car elle distille chaque jour son poison bien particulier dans le comportement de son enfant.
Alors, à quoi peut-on remarquer cette toxicité ? Chaque situation étant différente, on pourrait établir un catalogue jamais exhaustif de cas, de situations, de comportements, de réflexions, d’attitudes maternelles toxiques (et en écrivant cette phrase, je me dis : maternel, et toxique, est-ce compatible ?).
La première remarque qui me vient est que dans chacune de ces situations se retrouve un point commun : la mère ne considère pas son enfant comme un être humain à part entière, devant peu à peu acquérir en autonomie et en responsabilité, mais comme une part d’elle-même, un prolongement, ou un objet, qu’elle peut utiliser, rejeter, martyriser et presque à volonté, puisque cet « objet » lui appartient. Elle a de ce fait tous les droits et tous les pouvoirs sur son enfant. La deuxième remarque est que cette toxicité de la mère n’est pas forcément visible, ou particulièrement compréhensible. Lorsqu’elle est violence psychologique, lorsqu’il s’agit d’une accumulation de paroles, de petits faits, de petits gestes qui pris chacun séparément seraient assez anodins mais dont la répétition est constitutive de violence, elle n’est pas flagrante. Et parce qu’elle n’est pas flagrante, ni l’enfant, ni l’entourage familial, ni les tiers ne vont en prendre conscience. Et agir.

Dans le documentaire Ma mère, mon poison, des situations critiques vont être montrées. Syndrome de Münchausen par procuration, inceste, abandon, maltraitance physique…L’enfant disparaît comme humain et n’est plus qu’une chose pour sa mère. Grâce à cette chose, dans le cas du syndrome de Münchausen par procuration, elle va prolonger son besoin pathologique de soigner et d’être reconnue comme étant dans le soin, attentionnée, « parfaite ». Elle ne pense pas à la santé de son enfant. La santé de son enfant est un vecteur, un moyen pour se mettre en avant et nourrir un narcissisme extrêmement fragilisé.

Dans le cas de l’inceste, la mère nie la réalité de la violence sexuelle subie par sa fille, et retourne la vérité contre sa fille, se dédouanant ainsi de toute responsabilité et de toute culpabilité.
L’abandon, la maltraitance vécue et qui ressurgit lors d’une grossesse, le placement d’une jeune fille pour la protéger d’une mère défaillante… tant de situations éclairées dans ce reportage.
Restent toutes les autres. Celles qui passent « inaperçues », qu’on ne comprend ou ne distingue pas. Qu’on n’imagine même pas. Pourtant, que dire d’une mère qui sa vie durant va ignorer un de ses enfants, ou la fratrie entière ? Qui va ignorer les appels à l’aide, les pleurs, les gestes d’amour, les demandes de baisers ou de regards de son enfant ? Qui ne va jamais remettre en cause, ou en doute, ses actes, ses paroles ou ses silences ? Qui va amener son enfant à s’effacer, à ne plus se considérer, à s’oublier au profit des autres et à ses dépens ?

La violence maternelle « ordinaire » est bien plus fréquente qu’on ne l’imagine. Pouvoir la verbaliser, pouvoir se séparer de ce lien toxique qui retient à sa « maman » comme une chaine retient un chien à sa niche est essentiel. Encore faut-il accepter d’avoir vécu cela, encore faut-il en deviner non pas la cause ni la raison, mais les conséquences, pour soi.

Il ne s’agit pas de blâmer les mères, il ne s’agit pas non plus de les excuser de tout. Il s’agit de permettre à des enfants, devenus adolescents, adultes, d’acquérir en respect et en amour pour eux-mêmes, alors que ça leur a été interdit, et de pouvoir verbaliser et se situer face à une personne, leur mère, qui ne leur a jamais donné ce qu’un enfant devrait recevoir : de l’amour bienveillant, de la protection, de la sécurité, et de l’autonomie.

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