MOI LA VÉRITÉ, JE PARLE

 » Mais observez ceci, c’est que parlant de La Chose freudienne, il m’est arrivé de me lancer dans quelque chose que moi-même j’ai appelé une prosopopée. Il s’agit de La Vérité qui énonce :

« Je suis donc pour vous l’énigme, celle qui se dérobe aussitôt apparue, hommes qui tant vous entendez à me dissimuler sous les oripeaux de vos convenances. Je n’en admets pas moins que votre embarras soit sincère. »

Je note que le terme « embarras » a été pointé pour sa fonction ailleurs.

« Car même quand vous vous faites mes hérauts, vous ne valez pas plus à porter mes couleurs que ces habits qui sont les vôtres et pareils à vous-même, fantômes que vous êtes. Où vais-je donc passer en vous, où étais-je avant ce passage ? Peut-être un jour vous le dirai-je ? »

Il s’agit là du discours.

« Mais pour que vous me trouviez où je suis, je vais vous apprendre à quel signe me reconnaître. Hommes, écoutez, je vous en donne le secret. Moi la vérité, je parle. »

Je n’ai point écrit « je dis ».

Ce qui parle assurément, s’il venait (comme je l’ai écrit ironiquement aussi), l’analyse, bien entendu, serait close.

Mais c’est justement :

  • ou ce qui n’arrive pas,
  • ou ce qui, quand cela arrive, mérite d’être ponctué d’une façon différente.

Et pour cela, il faut reprendre ce qu’il en est de ce sujet qui est ici mis en question par un procédé d’artifice, auquel il a été demandé, en effet, de n’être pas celui qui soutient tout ce qui est avancé.

Ne pas croire pourtant qu’il se dissipe, car le psychanalyste est très précisément là pour le représenter, je veux dire pour le maintenir tout le temps qu’il ne peut pas, en effet, se retrouver quant à la cause de son discours.

Et c’est ainsi qu’il s’agit, maintenant, de se rapporter aux formules fondamentales, à savoir celle qui définit le signifiant comme étant « ce qui représente un sujet pour un autre signifiant ».

Qu’est-ce que ceci veut dire ?

Je suis surpris que jamais personne n’ait à ce propos encore remarqué qu’il en résulte, comme corollaire, « qu’un signifiant ne saurait se représenter lui-même ».

Bien sûr, ceci n’est pas nouveau non plus car dans ce que j’ai articulé autour de la répétition, c’est bien de cela qu’il s’agit. Mais là, nous avons à nous arrêter un instant pour bien le saisir sur le vif.

Qu’est-ce que cela peut vouloir dire ici, au détour de cette phrase, que ce « lui-même » du signifiant ?

Observez bien que, quand je parle du signifiant, je parle de quelque chose d’opaque. Quand je dis qu’il faut définir le signifiant comme « ce qui représente le sujet pour un autre signifiant », cela veut dire que personne n’en saura rien sauf l’autre signifiant, et l’autre signifiant ça n’a pas de tête, c’est un signifiant.

Le sujet est là étouffé, effacé, aussitôt en même temps qu’apparu.

Il s’agit justement de voir pourquoi quelque chose de ce sujet – qui disparaît d’être surgissant, produit un signifiant pour aussitôt s’éteindre dans un autre – comment quelque part ce quelque chose peut se constituer et qui peut à la limite se faire prendre à la fin pour un SelbstBewusstsein [ conscience de soi ], pour quelque chose qui se satisfait d’être identique à soi-même. [ cf. Frege ]

Or, très précisément ce que ceci veut dire, c’est que le signifiant, sous quelque forme que ce soit qu’il se produise ne saurait se rejoindre dans son représentant de signifiant sans que se produise cette perte dans l’identité qui s’appelle à proprement parler l’objet (a).

C’est ce que désigne la théorie de Freud concernant la répétition.

LACAN, J., D’un Autre à l’autre, pp.17 – 19


Image © Cherry Laithang

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