UNE ÉCUME DES JOURS

La pensée dite positive sera toujours et de tout temps en vogue car le quidam, vous comme moi, n’aura de cesse de s’y accrocher aussi longtemps qu’il le pourra. Aussi longtemps qu’il le pourra jusqu’à ce jour béni du retournement de situation qui ne manquera pas de faire évènement dans sa réalité psychique. C’est ainsi, dans le temps de la fin de la première guerre mondiale que Freud remet en question sa première topique fondée sur cette fameuse « pensée positive » pourrait-on dire plus connue aujourd’hui et alors des amateurs de la culture psychanalytique sous le terme de « principe de plaisir ». 

Au-delà du principe de plaisir

 » A la suite d’accidents mettant la vie en danger, on voit survenir un état qui a été décrit depuis longtemps et a gardé le nom de « névrose traumatique ». La guerre effroyable qui vient de se terminer a provoqué un grand nombre d’affections de ce type ; au moins a-t-elle mis fin à la tentation de les ramener à une lésion organique du système nerveux produite par une violente action mécanique. (…) Dans la névrose traumatique commune, deux traits saillants pourraient servir de point de départ à notre réflexion (1920) : premièrement, ce qui semble peser le plus lourd dans son déterminisme, c’est le facteur de surprise, l’effroi ; deuxièmement, si le sujet subit en même temps une lésion ou une blessure, ceci s’oppose en général à la survenue de la névrose. Effroi, peur, angoisse* sont des termes qu’on a tort d’utiliser comme synonymes ; leur rapport au danger permet de bien les différencier. Le terme d’angoisse désigne un état caractérisé par l’attente du danger et la préparation à celui-ci, même s’il est inconnu ; le terme de peur suppose un objet défini dont on a peur ; quant au terme d’effroi, il désigne l’état qui survient quand on tombe dans une situation dangereuse sans y être préparé ; il met l’accent sur le facteur de surprise. Je ne crois pas que l’angoisse puisse engendrer une névrose traumatique ; il y a dans l’angoisse quelque chose qui protège contre l’effroi et donc aussi de la névrose d’effroi. Nous reviendrons ultérieurement sur cette proposition.

L’étude du rêve peut être tenue pour la voie la plus sûre dans l’exploitation des processus psychiques des profondeurs. Or la vie onirique des névroses traumatiques se caractérise en ceci qu’elle ramène sans cesse le malade à la situation de son accident, situation dont il se réveille avec un nouvel effroi. C’est là un fait dont on ne s’étonne pas assez. On voit, dans l’insistance de l’expérience traumatique à faire retour même dans le sommeil du malade, une preuve de la force de l’impression qu’elle a produite. Le malade serait, pour ainsi dire, fixé psychiquement au traumatisme. De telles fixations à l’expérience qui a déclenché la maladie nous sont depuis longtemps connues dans l’hystérie. Breuer et Freud déclaraient en 1893 : les hystériques souffrent de réminiscences. Dans les névroses de guerre également, des observateurs comme Ferenczi et Simmel ont pu expliquer nombre de symptômes moteurs par la fixation au moment du traumatisme.

Et pourtant, à ma connaissance, les malades qui souffrent de névrose traumatique ne s’occupent guère, pendant la veille, du souvenir de leur accident. Peut-être s’efforcent-ils plutôt de n’y pas penser. Admettre comme allant de soi que le rêve les replace pendant la nuit dans une situation pathogène, c’est méconnaître la nature du rêve. Il serait plus conforme à celle-ci que le rêve présente au malade des images du temps où il était bien portant ou des images de la guérison qu’il espère. Si nous ne voulons pas que les rêves de la névrose d’accident viennent bouleverser notre thèse de la tendance du rêve à accomplir le désir, il nous reste peut-être la ressource de dire que dans cette affection la fonction du rêve, comme bien d’autres choses, est ébranlée et détournée de ses fins, à moins d’invoquer les énigmatiques tendances masochistes du moi.

Je vous propose maintenant d’abandonner le thème obscur de la névrose traumatique et d’étudier le mode de travail de l’appareil psychique dans l’une de ses toutes premières activités normales : le jeu des enfants. « 

[ … ]

Schreck, Furcht, Angst *


FREUD, S., 1920, Au-delà du principe de plaisir, in Essais de psychanalyse, PBP, pp. 55 – 57

Photographie, Laura Makabresku

Share