LE GÉNIE DU DÉTAIL

Chaque détail, dans un rêve, figure le rêve entier.

Apparait un petit enfant aux bottines rouges, tu t’étonnes qu’il soit laissé seul. Tu approches ta main pour le toucher. Tu es pieds nus maintenant, la ville s’ouvre sur une rivière sauvage. Il y a un oiseau rouge devant toi qui entre dans l’eau et disparaît à son tour.

Pourquoi rouge ?

Chaque détail, dans un rêve, figure le rêve entier. Tout élément qui le compose est à prendre en considération, surtout les fragments qui semblent ne se rapporter au scénario que de très loin. Ce qui apparait être le motif central du rêve n’est pas plus significatif que la couleur d’un « petit pan de mur jaune ». Les échelles de valeurs, d’urgence, de grandeur n’y sont pas respectées. Les informations les plus minimes, les chiffres donnés comme au hasard : tout est important. Impossible de hiérarchiser, ni même de trier. Impossible aussi de faire confiance au sens déclaré de la séquence onirique. A ce jeu-là aussi Dieu gît dans les détails… Les bribes dont le flou nous donne le sentiment que l’essentiel s’est perdu suffisent en elles-mêmes à approcher le coeur du rêve. Dans la Traumdeutung, Freud considère que dans un détail qui sera répété au moins deux fois se révèle motif que la scène principale, d’une certaine manière, déplace. Et grime. Chacun échange sa place : le noyau central du rêve se cache dans un signe tandis que l’écoute de l’analyste aurait tendance à être captée par ce dont le rêve semble parler. En ce sens, cet étrange ballet – déplacement, déguisement, trompe-l’oeil – s’apparente à la manière dont une scène traumatique est refoulée par la conscience et dont seuls quelques fragments, en apparence anodins, reviennent hanter le sujet sans qu’il puisse en reconnaitre l’origine.

Le rêve sait être un mécanisme de haute précision. Ses solutions sont déchiffrables sur plusieurs registres à condition de travailler à décaler sans cesse l’angle habituel de vision. Jeux de mots brillants, images raccordées l’une à l’autre comme un pont tressé au-dessus du trauma, ellipse d’un rêve moitié oublié dont le souvenir revenu dit exactement ce que le rêveur, constamment, refoule au quotidien. Le rêve n’épargne rien, et pourtant il n’oublie jamais. On peut ne pas l’entendre, et surtout le figer. S’en rappeler c’est déjà consentir à être en la présence de ce qui nous questionne depuis une nuit plus sauvage que l’on croit. « Dans les rêves les mieux interprétés, écrit Freud, on doit souvent laisser un point dans l’obscurité, parce que, au cours de l’interprétation, on s’aperçoit qu’il s’y amorce un enchevêtrement de pensées du rêve qui ne se laisse point dénouer et qui n’a pas apporté de nouvelles contributions (…) à l’intelligence du contenu du rêve. Tel est le nombril du rêve, le lieu où il s’appuie sur l’inconnu. »


A. Dufourmentelle, Intelligence du rêve, Manuels Payot, pp. 59 – 61

Photography, Carolyn Drake, Adrienne and Zion, 2018

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