J’ADORE LES HÉRISSONS

 » Vous vous imaginez que la pensée, ça se tient dans la cervelle. Je ne vois pas pourquoi je vous en dissuaderais.  » (Aujourd’hui, en 2020, on entend partout « C’est dans le mental ». Voyez le topo. La belle manière de ne rien y voir entendre. )

1974 – La Troisième, Jacques Lacan 

extrait

Le symbolique, l’imaginaire et le réel

L’inouï, c’est que ça ait pris du sens – et pris du sens, rangé comme ça. Dans les deux cas, c’est à cause moi, de ce que j’appelle le vent – dont je sens que je ne peux même plus le prévoir -, le vent dont on gonfle ses voiles notre époque.

Il est évident que ça ne manque pas de sens au départ. C’est en cela que consiste la pensée – des mots introduisent dans le corps quelques représentations imbéciles.

Voilà, vous avez le truc – vous avez l’imaginaire, et qui en plus nous rend gorge. Cela ne veut pas dire qu’il nous rengorge, non. Il nous re-dégueule. Quoi ? – comme par hasard, une vérité, une vérité de plus. C’est un comble.

Que le sens se loge dans l’imaginaire nous donne du même coup les deux autres comme sens. L’idéalisme, dont tout le monde a répudié l’imputation, est là derrière. Les gens ne demandent que ça. Ça les intéresse, vu que la pensée, c’est bien ce qu’il y a de plus crétinisant à agiter le grelot du sens.

Comment vous sortir de la tête l’emploi philosophique de mes termes, c’est-à-dire leur emploi ordurier ? – quand, d’autre part, il faut bien que ça entre. Mais il vaudrait mieux que ça entre ailleurs. Vous vous imaginez que la pensée, ça se tient dans la cervelle. Je ne vois pas pourquoi je vous en dissuaderais. Moi, je suis sûr – je suis sûr comme ça, c’est mon affaire – que ça tient dans les peauciers du front, chez l’être parlant exactement comme chez le hérisson.

J’adore les hérissons. Quand j’en vois un, je le mets dans ma poche, dans mon mouchoir. Naturellement il pisse – jusqu’à ce que je l’aie ramené sur ma pelouse, à ma maison de campagne. Et là, j’adore voir se produire ce plissement des peauciers du front. À la suite de quoi, tout comme nous, il se met en boule.

Si vous pouvez penser avec les peauciers du front, vous pouvez aussi penser avec les pieds. Eh bien, c’est là que je voudrais que ça entre – puisque, après tout, l’imaginaire, le symbolique et le réel, c’est fait pour que, ceux de cet attroupement qui me suivent, ça les aide à frayer le chemin de l’analyse.

Ces ronds de ficelle dont je me suis esquinté à vous faire les dessins, il ne s’agit pas de les ronronner. Il faudrait que ça vous serve à vous apercevoir de la topologie que ça définit.

Ces termes ne sont pas tabous. Ce qu’il faudrait, c’est que vous les pigiez. Ils sont là depuis bien avant celle que j’implique, de la dire la première – la première fois que j’ai parlé à Rome. Après avoir assez bien cogité, je les ai sortis, ces trois, très tôt, bien avant de m’être mis à mon premier Discours de Rome.

Que ces termes soient ces ronds du noeud borroméen, ce n’est quand même pas une raison pour vous y prendre le pied. Ce n’est pas cela que j’appelle penser avec ses pieds.

De l’être au semblant

(…)

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