C’EST BIEN NATUREL. OUI ?, MAIS QUOI ?

‘ Je ne suis pas un corps !


15 novembre 2020, Texte rédigé par Frédéric VIVAS, psychologue clinicien, ethnologue, enseignant EHESS

Je ne suis pas un corps. Je ne suis pas une bête. Je ne mange pas pour nourrir la bête. Je ne suis pas un corps même si j’en ai un. Un avec qui je dois composer. Je ne suis pas de la chair à canon de propagande. Sauf souvent-quelques-fois à mon corps défendant. Je ne suis pas un symptôme, une maladie. Un numéro de chambre. Un sujet pour l’entubage. Une file d’attente. Un applicateur de norme. Une bouche à bâillon ! Je ne suis pas une autorisation de sortie !
Je suis un homme dans ce qu’il a de plus inessentiel. Ma vie se compose d’inessentiels. Et c’est l’inessentiel qui me fait vivre, espérer.
J’ai une famille, des amis. Le verbe « avoir » est-il approprié ? Matériellement parlant, sont-ils (toujours) essentiels pour survivre ? Peut-on vivre sans sentiment ? J’ai des envies d’inessentiel, de rêves. Est-ce encore essentiel ? Est-ce utile de parler à des « populations à risque ». Un discours médical indique qu’il y a des « populations » et que ces « populations » sont « à risque ». Parler, à quoi bon, si c’est la fin d’un monde ! Ça doit se faire par la télé. Zoom. Télé-T’es laid ! Horreur encore ! Je parle, je pense, j’écris. On pourrait s’en passer ! Vous pourriez-vous en passer et moi aussi (peut-être) !
Je pose mon cul sur un siège inessentiel. Un morceau de bois pourrait bien faire l’affaire. C’est essentiel de poser son cul sur un coussin ? Mais du bois, c’est du chêne, de l’hêtre, de la culture, de la foresterie. Ça ne se découpe pas n’importe comment ! Disons alors, poser son derche sur une pierre. Mais il faut la choisir et la transporter. Et la pierre est classée ! Des minéraux ! Une matérialité. Une table de Mendeleïev. C’est encore de la culture !
Il n’y a rien dans ce monde qui ne soit de la culture ! Rien n’est naturel. Il faudrait le gueuler par la fenêtre, à 20h ! « Rien dans ce monde n’est naturel ! ». RIEN. Même le rien est culturel ! Il y a du réel, bien sûr, mais ce réel est culturalisé ! Parce que nous sommes des êtres de culture ! C’est écrit dans Totem et Tabou ! Et dans les Ecrits ! Freud, relecture Lacan !
La nature c’est de la culture naturalisée. Tu bouffes du cru ! Tu te crois au plus proche du réel ? Tu joues à faire la bête, c’est de la culture ! Tu es « crudivore » pris dans la grande lignée des « vores ». Il n’y a pas de dehors à l’espace social ! Tu es « dedans » au titre de te croire « dehors » ! Le social, c’est de la …! La philosophie c’est de l’inessentiel ! La psychanalyse c’est inessentiel ! L’art, la science ! Le monde est inessentiel d’essence !
Manger aussi ! On mange de l’essentiel par le biais de l’inessentiel. Les deux sont collés ! Du jambon-fromage ! Quelle rigolade ! J’arrête de rire ! Inessentiel ! Un inessentiel qui prolonge ton espérance de vie ! Tiens, là ça commence à se compliquer !
On dirait du Molière. Il faut se confiner pour vivre et non pas vivre pour se confiner. Ou l’inverse ! Manger, pour nourrir le corps ? Mais comment, Ducon, personne n’a le même modèle nutritif ! Personne n’est d’accord sur les besoins, encore moins sur le désir ! Encore de la culture ! Tu en bouffes de la culture, par la bouche et le cul ! Chier c’est culturel ! Des tonnes de merde de culture. Je respire de la culture, je mange et je chie de la culture. Mon trou du cul c’est de la culture ! « Là où ça sent la merde, ça sent l’être », disait Antonin Artaud, quelque part. Je cite de mémoire !
Mes yeux regardent des couleurs. Mes (possessif culturel) yeux (c’est essentiel des yeux ?) regardent (culture encore, regards éloignés ou regard d’expert, regards pluriels) des (Plusieurs en plus) couleurs (catégorisations culturelles, processus physiques, M. Pastoureau). Le bruit du vent sur les feuilles des arbres c’est quoi ? C’est une connerie sans nom que ce concept d’inessentiel ! C’est l’outil de la distinction essentiel-inessentiel ! Ça sent le cramé ! Le moisi ! Ça devrait de foutre une grosse trouille culturelle !
Je pensais qu’Il avait fait du théâtre ? Qu’Il avait fait philosophie ? Si c’est l’inessentiel qui prime, qu’Il quitte l’Elysée… Il n’a pas plus besoin des Ors de la République. Qu’Il demande à son cuisinier de démissionner et qu’Il mange des pilules à base de jambon-fromage ! Cette phrase est idiote car jambon-fromage c’est de la culture ! Le jambon-fromage c’est même précisément de l’historico-socio-culturel par excellence. La culture du cochon. Le pays du fromage. Leurs fabrications. Leurs industrialisations…Il aime les cordons-bleus. Il se moque des cuisiniers. Manger pour le corps, comme injonction sociale, il faut faire gaffe, ça t’amène vers des terrains qui glissent.
Les français sont animalisés. « Ce n’est pas le moment pour desserrer la bride aux français », qu’il dit le ministre Premier. La bride, un harnais placé à tête d’un animal pour le diriger. Un mors, un français, un cheval ? Je note, le ministre se pense sur le dos du peuple. Les malades sont chosifiés. Une somme de chiffres, de corps chiffrés qui défilent en décompte comme s’amoncellent les visiteurs d’un site marchand. 20-30-40 mille morts.
Dans le même mouvement, la chose est humanisée. « Le virus n’aime pas l’art de vivre à la Française », dixit E. Macron. Ça aime un virus ? C’est capable d’émotion ? Je croyais l’émotion de l’ordre de l’inessentiel ? « On ne va pas vivre des années avec le virus », dixit O. Veran. Vivre avec, comme en couple ?
La COVID, figure passée du masculin au féminin, est décrit(e) comme un étrange invisible, un presque barbare venant de Chine qui suppose contre lui la « mobilisation collective ». Les français, chairs à canon existent comme corps mobilisables. « Nous sommes en guerre », scande le gouvernement. « Nous n’avons pas encore gagné la guerre ». Les quartiers sont des « bombes à retardement » qu’ils disent. Mobilisation-guerre-bombes…Qui distribue les armes pour lutter ? Qu’on se rassure, la nation nourricière sert de rempart « La France est prête car nous avons un système de santé extrêmement solide », avait affirmé O. Veran en février 2020.
Animaliser le corps social. Humaniser le corps viral. Quelle est le sens de cette inversion anthropologique ? Préparer le multiple indifférencié à ne faire qu’Un, comme aspiré dans le grand corps collectif des métaphores et des métonymies belliqueuses. Préparer à la guerre ! Il s’agit là une stratégie de manipulation de la dissolution de l’individualité. En psychologie, ce mécanisme s’appelle « l’état d’agentique », d’agent zélé. Hannah Arendt n’a pas manqué de montrer comme le mécanisme conduit à l’absence de faculté de penser. Quel vaccin pourra nous prémunir de cela ? La démocratie, la République Sociale. Quoi d’autres ?
La politique macroniste, cette grande fumisterie incrémentale, capitalo-fasciste, libérale-dictatioriale, se structure comme parole autour de l’inessentiel. Micron se pense comme Dieu des Dieux. Jupiter. C’est essentiel ça la religion ? Dire à la moitié de la planète, c’est inessentiel ! Tu m’étonnes qu’ils gueulent ! Corps céleste, corps immatériel, corps divin ? Covid comme juste-au-corps !
Ceux-là même qui dénient l’immatérialité de l’essence donnent à pleine trompette dans la métaphore éthérée. « Commerce inessentiel », c’est un oxymore. De quoi avons-nous besoins ? Qu’est-ce qui nous est utile ? De relations, d’échanges, de dons, de trocs, nous avons besoin ? Peut-on vivre sans politique ? Poser la question de l’inessentiel est très dangereux pour la démocratie, car se joue la limite, l’espace frontière du raisonnement et son lot d’anti-parlementariste : Macron est-il essentiel ? Un président est-il essentiel ? L’Etat est-il essentiel. Ne pas jouer avec le feu ! Ne pas jouer avec le feu !
Je pleure. Ce n’est pas essentiel ? J’aime. Je pourrais vivre sans. Comment vivre sans ? A en mourir. Je n’ai pas besoin de musique, d’art, de poésie, de littérature, d’ordinateur, de téléphone, de chemise bleue. Je n’ai pas besoin de déguster, de goûter, de partager ; c’est pourtant ce qui me distingue de la bête. Je n’ai pas besoin de sexe. Ce n’est pas de l’ordre du besoin. Danser. Alors on danse.
Si je suis une bête, si tu me prends pour un corps, une chose, un bœuf, un truc qui ne va vivre que pour manger et se calfeutrer, je vais réagir comme tels. Je vais te mettre un coup de corne ! Je vais devenir un gaulois réfractaire, un chamailleur ! Eborgner, c’est essentiel ?
Peut-être. De l’essence. Ici tout n’est qu’ordre et laideur, luxe, agitation et volonté !
Non, car je ne suis pas une bête.
Et une bête n’est pas une bête !
La matérialité de ma parole, c’est par la différence des signifiants et des signifiances qu’elle se donne à entendre. Il est inessentiel de me lire. Pourquoi faites vous ça ? Vous n’avez pas autre chose à lire et à faire ? J’aimerai chier naturellement, mais c’est impossible !
– Pourquoi en temps de guerre financer la culture, Monsieur Churchill ?
– Et Churchill de répondre : Pourquoi nous battons-nous ?
Voilà, c’est le piège, il n’y a pas de dehors au signifiant. L’inessentiel est la condition de mon humanité. Il ne faut pas laisser une poignée d’ayatollahs de l’Ordre médical penser la cité par le prisme du corps.
Vous lisez mes nuances ?
Je ne dis pas : « Ne pas mettre le gel, le masque ». Moi aussi j’ai l’air con avec les mains qui collent !
Je dis « Ne pas laisser une poignée d’ayatollahs de l’Ordre médical penser la cité ».
Je ne suis pas un corps.
C’est ce que j’ai dit au médecin, il y a 15 ans quand il est venu me visiter dans la chambre d’hôpital, quand mon dos totalement courbé par une hernie discale m’empêchait de me relever. Le mandarin m’a demandé, sans s’autoriser à me dire bonjour, de me tourner. Bref de ne plus lui faire face. Il a montré mon dos aux internes. Et il a jargonné devant sa troupe de poussins sortis de l’œuf des savanteries que je ne comprenais pas. Lorsque je lui ai indiqué que c’est de moi dont il parlait. Il a recommencé a jargonner. J’ai dit « J’ai rien compris ». Il est parti pas content en disant qu’on m’expliquerait. Qui était ce « on » dont il parlait ? J’ai dit « Je ne suis pas un corps » ! Et après son départ, la kiné est revenu dans la chambre me dire : « Vous avez bien fait, il faut leur dire ! ». Ils m’ont bien soigné lui, la kiné et l’ostéopathe.
Merci pour le corps !
Merci, sans flagorneries aucunes.
Merci encore ! Vive la Sécu et Ambroise Croizat
Je ne suis pas un corps
Je sais que vous savez mais je le répète encore !
J’ai pris, dans la tête par le corps, l’expérience sociale médicale de l’humiliation du corps. Malade, gros, gras, flasque, déjà vieux, devant la troupe de jeunes. Une belle humiliation d’autant que la moitié des internes s’écrivaient au féminin, à ce que je percevais !
Je ne suis pas un corps, le corps, du corps.
Tu vois un peu ce que ça donnerait si je gueulais par la corde vocale ce que je pense que ce que tu penses de qui je suis et de ce que je suis !
Je ne suis pas un bouffeur de chloroquine, de vaccin, de doliprane, de la chair à Big pharma. Je suis un sujet dans son ineffable et stupide existence. Je me déploie dans l’accomplissement de ma propre parole. J’adviens comme auteur par la création de licences.
Je ne suis pas un corps
Je ne suis pas une bête
Je c’est l’Autre de la culture qui parle en moi !
Je ne sais pas ce que ça veut dire « inessentiel » !
Je passe un temps fou à comprendre ce que ça peut bien vouloir dire !
« Je » et « suis », de l’inessentiel à l’oxymore ! ‘
Share