A MA FILLE

6 mai 1908

 

Ma chère Mathilde,

Ce que tu m’as écrit ne m’a pas complètement pris au dépourvu. J’attendais, bien sûr, que tu prennes toi-même la parole. Car j’avais confiance en toi, et je crois que tu n’as pas trompé cette confiance. Si tu es contente de toi, je peux l’être aussi.

Je ne peux que te donner quelques conseils et attirer ton attention sur quelques précautions. Tu sais peut-être qu’aimer doit s’apprendre, comme tout le reste. Il est donc difficile d’éviter, ce faisant, des erreurs ;

PSEUDO & VÉRITÉ

Je me suis toujours été un autre.

 » Il me faut à présent, tenter de m’expliquer « en profondeur ». 

J’étais las de n’être que moi-même. J’étais las de l’image de Romain Gary qu’on m’avait collée sur le dos une fois pour toutes depuis trente ans, depuis la soudaine célébrité qui était venue à un jeune aviateur avec Education européenne, lorsque Sartre écrivait dans Les Temps modernes : « Il faut attendre quelques années avant de savoir si Education européenne est ou non le meilleur roman sur la Résistance… » Trente ans ! « On m’avait fait une gueule. » Peut-être m’y prêtais-je, inconsciemment.

INCIPIT VERS LA BEAUTÉ

Vers la beauté

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 » Le musée d’Orsay, à Paris, est une ancienne gare. Le passé dépose ainsi une trace insolite sur le présent. Entre les Mante et les Monet, on peut se laisser aller à imaginer les trains arrivant au milieu des tableaux. Ce sont d’autres voyages maintenant. Certains visiteurs ont peut-être aperçu Antoine Duris ce jour-là, immobile sur le parvis. Il paraît tombé du ciel, stupéfait d’être là. La stupéfaction, c’est bien le mot qui peut caractériser son sentiment à cet instant.

ESPRITS PERSPICACES

Lequel d’entre nous, intimement, massivement, aveuglément, invisiblement, en d’autres mots, persuadé d’être le seul ou l’un des seuls, ne pensait-il pas alors que la foule c’était l’autre et lui le perspicace ?


‘ Il n’y a en ce monde que bien peu d’esprits perspicaces. La foule est crédule, elle se laisse aisément tromper, parce qu’elle croit dans les apparences qu’on lui offre et ne va pas plus loin. [ … ] Il suffit dès lors au politique, pour maintenir son autorité, de composer les apparences à bon escient.’

[ Machiavel – Le Prince ]

COUPURE

La coupure

[ … ]  L’origine de cette coupure, vous la connaissez, c’est la coupure qui apparaît dès le stade du miroir entre le sujet et son image. Le sujet tente de se saisir dans cette image et de fusionner avec elle, ce qui n’est pas possible puisqu’il y a la séparation de la vitre, de la glace très exactement. ( … ) La coupure imaginaire entre le corps et son image spéculaire, image au miroir, est une variante de celle qui existe entre le corps et la parole, cette coupure qu’il y a à la limite à franchir pour la parole pour qu’elle véhicule quelque chose qui touche le corps. L’image dont il est question dans l’image spéculaire vient à la place de la parole circulante, qui circule comme marchandise. Il ne s’agit pas, dans cette parole-là, de communication où l’on pourrait entendre mis en commun, partage au sens du terme allemand Mitteilung. Dans cette parole circulante il y a transmission, déplacement, exactement comme l’image circule sous la forme d’une photographie. Cette photographie dont on connaît le rôle dans un certain métabolisme amoureux n’est pas une mise en commun mais une distribution, de même qu’une certaine parole qui se distribue – et c’est intentionnellement que j’utilise un terme qui relève des postes et télécommunications. Certes, il y a dans la parole autre chose que la distribution ; la communication existe, mais nous verrons par la suite qu’il existe une troisième fonction de la parole. Cette troisième fonction que l’on ne peut ni enseigner ni décrire, c’est justement la parole créatrice, la parole poétique au sens fort du terme. Il est probable qu’il faille d’abord dégager la parole de sa dimension de distribution, de sa fonction plutôt polyphonique, comme on parle d’une polycopie, parole destinée à être mise dans toutes les oreilles avant qu’il puisse s’agir d’une parole incarnée et d’une parole créatrice.

( … )

Avant que le sens du symptôme puisse être restitué au sujet, il faut que ce sujet se soit dégagé de l’usage dévoyé de la langue, il faut que, pour lui, la parole ait retrouvé sa dimension créatrice pour qu’à partir de cette dimension un sens authentique, un sens spécifique, subjectif, puisse lui être restitué. Aussi longtemps qu’on a cherché à dire, parce qu’on a cru que Freud avait fait ainsi, que tel symptôme (hystérique) signifiait telle chose parce qu’à tel moment il s’était passé un évènement, on se condamne à entendre, dans certaines interprétations notamment, le propre de l’analyste et on s’interdit d’entendre ce que le sujet voulait dire. [ … ] 


Israël, L., 1974, La jouissance de l’hystérique, Séminaire, pp. 57 – 60, Arcanes, 1996

AU MOINS UN

Il n’y a pas d’autre lieu pour la parole que le corps humain. 

‘ Le corps peut sembler une réalité particulièrement tangible, consistante, et pourtant celle-ci échappe à toute tentative de saisie. Cette énigme, ce mystère du corps humain, la psychanalyse n’a pas pour but de la résoudre, mais, au contraire, son travail est toujours d’en rétablir la dimension, qui est originaire, constitutive du corps, de l’inconscient .

Nombre de thérapies prétendent prendre en charge le corps plus que ne le ferait la psychanalyse qui est affaire de parole. Pourtant seule la parole touche véritablement au plus profond de notre être, là où les sensations de notre chair se donnent à lire, pour nous-mêmes et pour l’autre, dans l’étonnement renouvelé de la rencontre où nous prenons corps. Bien sûr le toucher peut aussi toucher : mais s’il touche vraiment, c’est qu’il est aussi parole.

J’AI VU DES MIRACLES SE PRODUIRE

Dis ta foutue vérité.

J’ai vu des miracles se produire, quand les gens disent la vérité. Pas la  » belle  » vérité. Pas la vérité qui cherche à plaire ou à réconforter. Mais la vérité sauvage. La vérité féroce. La vérité qui dérange. Qui nous dérange nous, le soir dans le lit, la nuit dans nos paupières. La vérité qui nous réveille, celle qui nous empêche de dormir parce qu’on veut l’éviter. A tout prix. Parce que, oui, on paye le prix de l’aveuglement. On paye le prix cher. La vérité qui dérange donc, la vérité tantrique. La foutue vérité. La vérité que tu as peur de dire.
L’horrible vérité sur toi que tu caches pour  » protéger  » les autres. L’horrible vérité que tu te caches, dont tu te caches pour te protéger des autres. Pour éviter d’être  » trop « . Pour éviter d’avoir honte et de te sentir rejeté. Pour éviter d’être vu. La vérité de tes sentiments les plus profonds. La rage que tu as ressassée, dissimulée, maîtrisée. Les terreurs dont tu ne veux pas parler. Les pulsions sexuelles que tu as essayé d’engourdir. Les désirs primaires que tu ne peux supporter de formuler.

CNRS – LA PSYCHANALYSE (extrait d’entretiens / 1)

CNRS – Extraits d’entretiens avec Daniel Friedmann – 1983

André Green

 » C’est certainement un désavantage de se rendre comte que, on ne peut pas expliquer à quelqu’un ce qu’est l’analyse autrement qu’en le mettant dans la situation analytique. Alors, je sais bien qu’on dira « mais alors, qu’est-ce-que ça veut dire ?, c’est une conversion religieuse ? « . Ça c’est une réponse qu’on s’attend à recevoir. Je comprends qu’on la donne mais je dirais que nous n’y pouvons rien. C’est-à-dire qu’il y a des conditions qui sont spécifiques à la réalisation d’une expérience et qui mettent en évidence un certain nombre de phénomènes qui n’apparaissent pas autrement ou qui ne sont pas observables autrement ou dont on ne peut pas faire l’expérience si on ne se met pas dans la condition nécessaire à cela.