J’AI SOIF D’UN CHANGEMENT RADICAL

En analyse comme dans la vie, la volonté de maîtrise de soi (et des autres) est le principal obstacle au changement.

 

Certains psychanalystes le répètent : “Même après une analyse, on ne peut pas changer mais seulement ‘vivre avec’ qui l’on est.” En faites-vous partie ?

Jean-Bertrand Pontalis : Si je ne croyais pas au changement, je ne ferais pas ce métiersi l’on peut appeler ça un métier – de psychanalyste. Si je vous disais : « On ne peut rien changer au monde intérieur et à la vie réelle d’une personne », que serait une analyse ? Cela dit, il y a chez l’individu, comme dans la société, de fortes résistances au changement : quelqu’un vient vous voir avec l’idée que ça ne va pas dans sa vie, qu’il veut changer, et en même temps, il vous répète qu’il est comme il est, ou vous dit : « C’est mon caractère », « C’est ma personnalité », en en parlant presque comme d’un caractère d’imprimerie, que l’on ne peut plus modifier… Il y a donc à la fois désir de changement et résistances à celui-ci. Dans l’une de ses lettres de jeunesse, Freud a ce mot superbe : « Les patients tiennent souvent plus à leur névrose qu’à eux-mêmes. » Car quelquefois, votre souffrance, c’est ce qui vous tient le mieux compagnie… Tout le travail analytique est fait pour essayer de dépasser ces résistances et amener, non pas un changement radical, brutal, comme celui qu’évoque “La Métamorphose” de Kafka, mais une forme de remise en mouvement, imperceptible mais sans retour arrière possible ; un mouvement définitivement en avant. D’ailleurs, je préfère le terme de mouvement à celui de changement, parce que celui-ci a toujours un sens un peu brutal. Il me rappelle certaines injonctions : « Cesse d’être comme ça ! Il serait temps que tu changes ! »

 

– Mais notre époque a soif de changements radicaux…

– Oui. Certaines thérapies comme le Rebirth proposent de « renaître complètement », de « se transformer »… Or, je pense que, même si nous changeons, nous ne renaissons pas. Il y a aussi le fantasme de guérison : on veut « guérir », être délivré à jamais de ses symptômes. Or, c’est là un terme médical. Si la médecine cherche à vous faire revenir à l’état antérieur à la maladie, l’analyse n’a pas pour finalité de vous faire revenir à l’état précédant l’installation de la névrose. Elle est au contraire attente et espoir d’un état nouveau. Cela dit, je ne suis pas d’accord avec ceux qui ont prôné un temps que la « guérison venait de surcroît ». C’est là une très mauvaise compréhension du mot de Lacan. Il voulait dire que l’analyse n’a pas comme « principal objectif » que le patient guérisse, ce qui ne signifie pas non plus que l’on doive s’en soucier comme d’une guigne… Chacun a une certaine image de soi. Sa propre histoire, ses propres mots, comme un code qui lui permet de se comprendre et de comprendre les autres. Chacun a sa propre « théorie de soi ». Souvent, au moins dans les premiers entretiens, les futurs patients se disent que leur difficulté à vivre vient de l’éducation qu’ils ont reçue, ou de tel événement que l’on appelle souvent abusivement un traumatisme. Peu à peu, l’analyse va faire évoluer cette représentation de soi, notamment grâce à une modification de l’image de ses parents et du couple qu’ils formaient. Tel patient qui pensait que ces parents n’avaient pas de vie sexuelle satisfaisante découvre qu’il est un « enfant de l’amour ». Changer donc, c’est d’abord changer de point de vue : sur soi, sur les autres… Et cette mutation fait que, percevant le monde autrement, on y vit différemment. Les changements internes retentissent toujours sur le dehors.

 

– Comment, en tant qu’analyste, percevez-vous ces évolutions ?

– La névrose est une sorte de huis clos dans lequel on s’est enfermé avec des chaînes qui empêchent de se mouvoir. Tout au long de la cure, on peut constater une libération de la mémoire, de la parole, de la perception… La capacité à laisser aller sa parole, à la laisser divaguer, « délirer » au sens de « sortir des sillons », est beaucoup plus grande. Il y a aussi plus de facilité à ne pas vouloir tout maîtriser, à admettre de plus en plus une « pensée rêvante », et non pas toujours arrimée au réel. C’est à cela que l’on voit le changement intérieur, à cette aptitude à se laisser aller vers l’inconnu…


Source de l’interview inconnue / Si quelqu’un sait, qu’il se fasse connaître, merci. 

Tableau, Lettura patriottica © Alcide Davide Campestrini, XIXe Siècle 

Share