CHERCHER TOUJOURS A S’EN DETOURNER

A l’instar de quelque alphabet, tenons pour B.A BA que pour apprendre quoi que ce soit, il faille répéter l’apprentissage jusqu’à l’oublier. Tant que tu n’as pas oublié tu n’as rien appris. Encore faut-il le savoir.  

 

Autour du deuil : résumé 

 

L’un des deux axes majeurs de la vie psychique, présupposant le moi établi et l’objet fondé, s’occupe du traitement de l’excitation par des défenses intrapsychiques – dont l’excès produit les névroses -, et sous l’aiguillon de l’angoisse – dont l’excès constitue le traumatisme. L’autre axe, moins connu et qui nous retiens le plus, est fondateur du moi et de l’objet ; tout occupé du jeu entre l’intérieur et l’extérieur il utilise des défenses “combinées” – dont le déferlement mène à la psychose – sous l’aiguillon du deuil, dont le débordement mène à la mélancolie et l’évitement radical à la perversion. Au-delà des évènements flagrants, le deuil est compris comme un processus ; comme tout ce qui compte dans la psyché, les racines en sont profondes et précoces.

Le deuil originaire est donc l’épreuve première – et prolongée – par laquelle passe le moi pour découvrir l’objet ; en vertu d’un paradoxe fondateur, celui-ci est perdu avant que trouvé ; de même le Je ne se trouve qu’en acceptant de se perdre. Propulsé, entre autres poussées, par celle de la croissance, et à l’encontre de l’attraction centrifuge de la séduction narcissique, le deuil originaire ouvre au moi les capacités qui lui sont originellement promises, en particulier celle de faire des deuils ; la traversée du deuil originaire est en effet une des conditions majeures de la faisabilité de tout endeuillement.

Tout état dépressif sera un raté de deuil originaire Encore faut-il un moi suffisamment fort pour former une dépression. Du reste, c’est moins les dépressions proprement dites qui nous retiennent ici (dans l’unité et la diversité que je leur décrivais naguère) que leurs dérivés défensifs majeurs. A partir de maintenant, nous ne pourrons plus effectuer de distinction claire et nette entre deuil et dépression : ici commence un magma déserté par les fantasmes. Il pourra se retourner en manie : ici commence et va s’ensuivre le règne du déni ; ou bien se colmater par une toxicomanie d’objet (elle-même productrice de fétiche) : ici commence et va s’ensuivre le recours aux services obligés de l’objet externe ; ou bien encore ce magma sera refroidi, figé, gelé (pouvant alors devenir froidement suicidaire) : ici commence et va suivre le domaine du secret. Enfin sera-t-il expulsé : ici domine et va s’ensuivre le règne de l’agir ; ici se manifeste d’abord l’usage d’autrui à des fins de verrouillage des mécanismes de déni et de clivage ; c’est le processus des voies complexes recourant à des “prises” en dilemmes insolubles exercées sur l’entourage ; et celui-ci de subir (et parfois de répercuter  à son tour, sous forme de contre-agir, les tracas d’un travail qui, d’avoir été exporté et défiguré, sera devenu quasi infaisable. Ici, de deux choses l’une va se produire : ou bien ce transport se fera sur l’entourage immédiat – et tel sera le cas de la suicidose – ; ou bien – cas encore plus complexe -, il va être transmis, par génération interposée, à un enfant, qui sera par là même promis à un avenir de fantôme : ici commence le règne de l’inceste secret.

Nous aurons vu le sujet, que la dépression menace, chercher tour à tour à s’en détourner ; puis à s’en débarrasser, avant que de mettre le comble à ses esquives et de les verrouiller, en faisant alliance en secret avec l’inceste. 

A l’inverse, il nous appartient, à nous thérapeutes, de faire les premiers pas du deuil narcissique de la “guérison” du patient ; parfois parvient-on à faire récupérer son deuil par l’envoyeur, et parfois à reconstituer le fil exporté d’un processus à la fois transmis et déchiré, auquel a nécessairement participé toute une famille. 

 

Le génie des origines, Paul-Claude Racamier, 1992, Payot & Rivages, pp. 117 – 118

Illustartion, Hypnos, personnification du sommeil

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