DÉSIR, MON TYRAN

Extraits du livre de Jean-Pierre Winter, Les errants de la chair, Études sur l’hystérie masculine

Et l’Autre, l’Autre dont on se demande ce qu’il veut, et auquel nous répondons, en tant que névrosé, par la construction du fantasme, il se trouve que dans notre vie quotidienne il est incarné par ceux qui nous gouvernent. C’est à dire que l’Autre, ce n’est pas seulement une figure conceptuelle, il s’incarne. De sorte qu’à la question : « Devons-nous ou non satisfaire aux désirs du tyran ? » Nous ne pouvons pas répondre si nous ne nous mettons pas en demeure de cerner ce désir quand l’occasion nous en est donnée. Comment pourrait-on résister à satisfaire le désir du tyran si nous nous interdisons le travail qui consiste à dévoiler ce désir, à le débusquer ? Mais Lacan continue en disant : « C’est la balance éthique à proprement parler, et c’est à ce niveau que, sans faire intervenir aucun dramatisme externe, parce qu’on n’en a pas besoin, tout simplement, nous avons aussi affaire à ce qui, au terme de l’analyse, reste suspendu à l’Autre, avec un grand A. » [ … ] Mais bien sûr, à cerner son désir, on s’expose, en faisant son portrait, à faire comme les peintres qui, quoi que ce soit qu’ils peignent, ne font jamais rien d’autre qu’un autoportrait. C’est dire qu’à faire le portrait du tyran, c’est His majesty the baby qu’on va rencontrer, c’est-à-dire sa propre tyrannie, et notamment ceci, qui est ce à quoi nous ne pouvons échapper : la tyrannie du désir.

La tyrannie du désir n’est pas tout à fait la même chose que la tyrannie du plaisir. La tyrannie du plaisir, justement Baudelaire en parle dans Recueillements, quand il écrit : « Le plaisir, ce bourreau sans merci. » Mais la tyrannie du désir, c’est ce contre quoi nous allons chercher à nous protéger. Et nous avons pour ce faire des astuces épatantes. C’est fou ce qu’on est capable d’inventer pour se protéger de la tyrannie de notre propre désir ! Et l’une de ces inventions, c’est concrètement, pratiquement, la politique, qui consiste à renvoyer la charge de notre désir, en invoquant le désir d’un autre. C’est bien pour cela qu’il y a tellement peu de gens qui ont envie d’avoir le pouvoir, parce que, pour qu’on puisse s’en plaindre, c’est quand même plus pratique que ce soit l’autre qui l’ait.

Tout ce que j’avance là, à propos de la politique, se passe aussi (et surtout) dans les couples. C’est tellement plus économique de considérer que c’est l’autre qui fait faire certaines choses, parce que, tout simplement, à considérer que c’est l’autre, nous nous débarrassons de la question de savoir ce que nous lui imputons, à cet autre, et nous faisons (croyons-nous, mais c’est une malhonnêteté intellectuelle dont nous ne sommes, d’une manière ou d’une autre, pas dupe pour autant) l’économie du rapport à notre Idéal, du rapport à nos idéaux, dans lequel vient se loger, justement, le rapport à l’objet interne.

Donc, dans une première approximation, je dirais : le fantasme, c’est ce que le sujet construit, dans lequel il va insérer l’autre comme défense contre son désir.

WINTER, J-P, Fantasme et tyrannie du désir, in Les errants de la chair, pp. 109 -110

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