Freud nomme maintenant la troisième instance, seulement évoquée au début de cet article : les forces hostiles viennent du Surmoi. Ce qu’il en dit est beaucoup plus resserré qu’en 1923. Le Surmoi, c’est la partie liée à la pulsion de mort ; il n’est donc qu’une petite partie de quelque chose de beaucoup plus vaste que nous ne connaissons pas, et d’assez insaisissable : la pulsion de mort, qu’à vrai dire nous ne saisissons que dans le Surmoi qui en fait psychiquement une liaison.
Un pont est donc établi entre la question du père et la pulsion de mort, puisque le Surmoi était défini comme l’intériorisation des exigences et interdits paternels.
En dehors du Surmoi, la pulsion de mort, c’est l’inconnu. « D’autres contingents de cette même force doivent être à l’oeuvre, on ne sait pas trop où, sous une forme liée ou libre. »
On remarquera aussi que, du même coup, l’hypothèse d’un au-delà du principe de plaisir est maintenant confirmée par Freud de la façon la plus catégorique : « Si l’on considère dans son ensemble le tableau dans lequel se rassemblent les manifestations du masochisme immanent de tant de personnes, celle de la réaction thérapeutique négative et de la conscience de culpabilité des névrosés, on ne pourra plus rester attaché à la croyance que le cours des évènements psychiques est exclusivement dominé par l’aspiration au plaisir. »
Eros et pulsion de mort, il existe donc deux pulsions fondamentales qui n’interviennent qu’intriquées. Comment ? Pour quels effets ? Tirer cela au clair sera désormais la tâche des psychanalystes ; Freud, quant à lui, s’avoue impuissant à aller plus loin.
Il ne faudrait pas croire pour autant qu’il n’a proposé qu’une spéculation biologique sur un vieux mythe cosmique dépoussiéré, qui lui serait venu d’Empédocle par cryptomnésie. Ça n’a rien d’évident, une grande majorité de lecteurs s’y est fourvoyée, et n’a pas saisi qu’il s’agissait de la base de concepts puissants qui s’imposaient pour rendre compte de ce qui le contraint à réinterpréter aussi bien les manifestations pathologiques que le psychisme normal.
La question est sérieuse, trop sérieuse pour être traitée en passant.
GRIGNON, O., Le corps des larmes, Calmann-Lévy, 2002, pp. 159 – 160
Illustration Pierre Dubreuil, The play of Life (Sefl-portrait), 1930