DÉCOMPLÉTUDE, UNE CONDITION SINE QUA NON

[ … ] N’oublions pas que le sujet attend de l’Autre, de ce grand Autre où se tient pour nous ce qui fait la maîtrise, où s’exerce pour nous tout ce qui est de l’ordre de la maîtrise, n’oublions pas que le Sujet attend de l’Autre le message qui lui fait savoir ce que lui Sujet, désire, puisqu’à défaut de ce message il risquerait de se trouver encore plus égaré, que je ne viens de l’évoquer, c’est-à-dire livré à l’angoisse.

 

Il y a là je crois, une interrogation qui vaut pour nous, de nous demander comment il se fait que le sujet soit à ce point encombré par son ex-sistence, de telle sorte qu’il veuille à tout prix la remettre à celui qui voudrait bien la prendre en charge, la remettre à un Autre, voire éventuellement le premier Autre susceptible d’en assurer la fonction. Comment cela se fait-il ?

COLETTE SOLER, L’OBJET a

« L’objet a, ses usages »

[ … ] Un pas de plus : l’objet a c’est ce qui manque, et tout ce qui ne manque pas, pour cause de discours, cherche à faire oublier. Dans le discours commun, dit discours du maître où le S1 ordonne la réalité aussi bien psychique que commune, le sujet est un sujet complété qui ne pense pas son manque, car le discours s’emploie au comblement de la béance. Sans cette opération de comblement, on ne comprendrait pas que l’universel de la castration ait pu être méconnu si massivement jusqu’à la psychanalyse. Et pas non plus que certains auteurs contemporains, pas plus bêtes que d’autres, brocardent le manque et tout au contraire croient être modernes en soutenant que désormais nous sommes dans ce qu’un film appelle The Land of plenty. Voyez un Sloterdijk et quelques autres dans la psychanalyse.

LA CENSURE ET LE RÊVE

Le rôle de la censure dans le rêve

Pour Freud, le motif principal de la déformation du rêve provient de la censure. Il rappelle qu’il s’agit d’une instance particulière, située à la frontière entre conscient et inconscient, qui laisse passer uniquement ce qui lui est agréable et retient le reste : ce qui se trouve alors écarté par la censure se trouve à l’état de refoulement et constitue le refoulé. Dans certains états comme le sommeil, la censure subit un relâchement, de sorte que le refoulé peut surgir dans la conscience sous forme de rêve. Mais comme la censure n’est pas totalement supprimée, même dans le rêve, le refoulé devra subir des modifications pour ne pas heurter la censure, ce qui conduit à la formation de compromis. Le processus de refoulement, suivi d’un relâchement de la censure et de la formation de compromis, n’est pas particulier au rêve, il se produit dans un grand nombre de situations psychopathologiques où l’on retrouve l’action de la condensation et du déplacement.

Par ailleurs, du fait de l’irruption des désirs inconscients non censurés qui peuvent réveiller le dormeur, il s’ensuit qu’un rêve réussi constitue aussi un accomplissement du désir de dormir. C’est pourquoi Freud considère que la fonction du rêve est aussi celle d’être le gardien du sommeil : “ Le rêve est le gardien du sommeil, et non son perturbateur.”

LES INTERMITTENCES DE L’ÊTRE

[ .. ] Qui ne connait pas la dépression, qui ne se sent jamais l’âme entamée par le corps, envahie par sa faiblesse, est incapable d’apercevoir sur l’homme aucune vérité ; il faut venir en dessous, il faut regarder l’envers ; il faut ne plus pouvoir bouger, ni espérer, ni croire, pour constater. [ … ] Ce doit être la consolation de ceux qui expérimente ainsi à petits coups la mort qu’ils sont les seuls à savoir un peu comment la vie est faite.

Jacques Rivière à Antonin Artaud

Paris, le 8 juin 1924

 Cher Monsieur,

DÉBARRASSEZ-MOI DE L’AMOUR

La foi dans l’acte de parler, de promettre, demande un acte de confiance insensé dans l’Autre. En analyse, le seul fait d’oser dire « tout ce qui vous vient en tête », de pouvoir libérer ces mots perdus hantés par d’autres, les fantômes, de laisser se rouvrir des blessures infectées parce que tenues si longtemps au secret, est un bouleversement majeur. C’est de cette « répétition spirituelle dont parle Kierkegaard, comme figure de l’inespéré.

PAUVRETÉ ET PRIVATION

C’est où chez les autres ?

‘ La pauvreté, ce n’est pas la privation. La pauvreté, c’est de n’être jamais seul. 

Je me rends compte maintenant que je suis de l’autre côté. Le pauvre n’a pas droit à la solitude. Il crève avec les autres à l’hôpital. Entre la crèche et l’hospice il y a les garderies et les asiles, les taudis et les casernes. Sa vie, de bout en bout, il lui faut la vivre en commun. On joue dans le sable public des squares et sur le trottoir de tout le monde. On couche à dix dans la même pièce. On se heurte dans les escaliers et les couloirs. Et c’est plein de murs, d’escaliers et de couloirs, la pauvreté.

FOLCOCHE …

 

 » Tous les serpents. Vous savez que je les connais bien, ces bêtes sinueuses, dont fourmille le Craonnais. Un serpent, m’a-t-on rabâché, siffla pour notre mère Eve. Une belle Folcoche, celle-là ! Une belle Folcoche qui a empoisonné pour toujours toute l’humanité. Mais la vraie Folcoche siffle mieux. Couleuvres d’eau, par erreur, vous donnerez encore dans mes nasses, jaunes et tordues comme des rires captifs. Aspics de la tentation, vous pouvez grouiller : je vous préfère. Et vous, les anguilles de l’Ommée, et vous, les vers de terre sortis rosâtres sous la pelle de Barbelivien, comme les idées, dans les marais, dans la glaise de l’intelligence. Mais entre tous les reptiles, à moi, la vipère, à moi ! Te souviens-tu, Folcoche, de celle à propos de qui tu disais, avec l’air de si fort la regretter : “Cet enfant a été l’objet d’une grande grâce ! ”

Cette vipère, ma vipère, dûment étranglée, mais partout renaissante, je le brandis encore et je la brandirai toujours, quel que soit le nom qu’il te plaise de lui donner : haine, politique du pire, désespoir ou goût du malheur ! Cette vipère, ta vipère, je la brandis, je la secoue, je m’avance dans la vie avec ce trophée, effarouchant mon public, faisant le vide autour de moi. Merci, ma mère ! Je suis celui marche, une vipère au poing. « 

 

BAZIN, H., Vipère au poing

LOUISE BOURGEOIS, QUELLE ADRESSE !?

Vous comprenez ? 

LOUISE Bourgeois

En retranscription, quelques mots clefs qui sonnent à l’oreille de celui qui est en analyse, forcément. A l’oreille du psychanalyste, pas moins. Quand l’art et la psychanalyse s’entre-servent avec une telle justesse, le ton est donné. Il s’agit bien de s’adresser à, de trouver une adresse et de faire d’une « idée bleue », une « idée rose » puis jaune, puis bleue, puis… On part d’une cruauté intime, honteuse, inoubliable, on chemine, on tourne en rond, pour peut-être un jour, si l’on ne flanche pas en cour de route, arriver à une libération, et introduire enfin de vraies personnes dans la maison. Quelle adresse !? De quelle adresse parlons-nous ? 

‘ – La cruauté, la guillotine s’exerce à l’intérieur des familles. [ … ]

– En réalité il y a une violence, une cruauté terrible, qui ne se montre pas.

– Qui ne se montre pas et qui ne s’oublie pas. [ … ]

SÉANCES APRÈS SÉANCES

En séance, comment ça se passe ? 

« Des fois je me sens très irrité ou jaloux d’une attention qu’il a pu marqué au patient qui va s’en aller dont j’ai pu percevoir quelque chose. Ou pas. Mais j’en imagine quelque chose. Donc ça, ça va créer aussi une ambiance dans laquelle j’ai finalement envie ou pas envie, donc ça vient brimer ou ça vient influencer. C’est quand même extrêmement compliqué de savoir ce qui fait une bonne séance ou ce qui fait une mauvaise séance. Au total, il y a sans doute pas de réelles mauvaises séances, il y a des séances où on sort frustré en se disant qu’on a quand même passé beaucoup de temps pour rien sur ce canapé, que il s’est ennuyé, que on lui a rien donné à manger. Ça c’est ma manière de penser qui … – Ah vous voulez lui faire plaisir ? – Oui bien sûr oui. Une expression que j’utilisais qui est sans doute très associative pour le coup, c’était lui donner du « bon mangé(r) », je voulais lui donner en séance du « bon mangé(r) ». Alors seulement on en lui donne pas toujours du « bon mangé(r) » et quand on lui donne du « bon mangé(r) » finalement je ne suis pas sûr que ça marche par ailleurs. Mais oui il y a ça. Et donc là évidemment on entend à quel point j’ai besoin de lui faire plaisir à cet homme là, oui et à ce qu’il reconnaisse que je veux lui faire plaisir. Et donc tout ça ça fait parti du travail. »