PENSER OU LES MAINS DU POTIER

Toute langue pétrit l’être, le fait apparaître au monde (…) 

La thèse du présent ouvrage est que la dignité provient de la pensée, de la capacité de penser. Cette capacité de penser est subordonnée à la parole (…)

Il conviendrait plus que jamais, pour retrouver notre dignité et nous émanciper d’une oppression sociale et culturelle d’autant plus dangereuse qu’elle est insidieuse, de retrouver le courage de penser.

A condition de ne pas réduire le penser à ce qui se produit dans les réseaux neuronaux, à la conscience vigile, à la raison et au calcul. Ce qui s’appelle « penser » guide, oriente et détermine les mains du potier qui donnent une forme au vide, le geste imprévu du chirurgien de génie qui sauve une vie en s’écartant des protocoles (parce qu’il les aura intégré, les protocoles), le souffle de l’écriture qui donne une présence aux souvenirs des vies que l’on n’a pas vécues, les pas du danseur qui écrit son désir sur l’écran du néant, les chuchotements de la peau des rencontres amoureuses qui donnent chair à la parole, le geste de l’enfant qui tente désespérément d’attraper la lune, celui du peintre qui fait de son art une « chose mentale », comme se plaisait à dire Léonard de Vinci !, les mots qui disent ce savoir que nous ignorons et dont nous sommes les porte-parole, ce qui donne aux rêves leurs matières et leur métamorphose permettant de réécrire les évènements du jour et d’anticiper ceux du lendemain, la grammaire des pulsions. Penser, c’est transgresser les frontières de l’évidence et ne pas s’attarder à l’ornière des résultats, comme l’écrit René Char : 

L’homme qui emporte l’évidence sur ses épaules

Garde le souvenir des vagues dans les entrepôts de sel.*  


* René Char, Dans l’atelier du poète, (1954), Paris, Gallimard, 1996, p.742

Gori, R. La dignité de penser, Paris, Babel, 2011, pp. 11 – 17 

Photographie, atelier TSUKUMOGAMI

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