LES MOTS DU CHOEUR

Antigone 

Et voilà. Maintenant, le ressort est bandé. Cela n’a plus qu’à se dérouler tout seul. C’est cela qui est commode dans la tragédie. On donne le petit coup de pouce pour que cela démarre, rien,
un regard pendant une seconde à une fille qui passe et lève les bras dans la rue, une envie d’honneur un beau matin, au réveil, comme de quelque chose qui se mange, une question de trop que l’on se pose un soir…
C’est tout. Après, on n’a plus qu’à laisser faire. On est tranquille. Cela roule tout seul. C’est minutieux, bien huilé depuis toujours. La mort, la trahison, le désespoir sont là, tout prêts,
et les éclats, et les orages, et les silences, tous les silences : le silence quand le bras du bourreau se lève à la fin, le silence au commencement quand les deux amants sont nus l’un en face de l’autre pour la première fois, sans oser bouger tout de suite, dans la chambre sombre, le silence quand les cris de la foule éclatent autour du vainqueur — et on dirait un film dont le son s’est enrayé, toutes ces bouches ouvertes dont il ne sort rien, toute cette clameur qui n’est qu’une image, et le vainqueur, déjà vaincu, seul au milieu de son silence…

C’est propre, la tragédie. C’est reposant, c’est sûr…

Dans le drame, avec ces traîtres, avec ces méchants acharnés, cette innocence persécutée, ces vengeurs, ces terre-neuve, ces lueurs d’espoir, cela devient épouvantable de mourir, comme un accident. On aurait peut-être pu se sauver, le bon jeune homme aurait peut-être pu arriver à temps avec les gendarmes. Dans la tragédie, on est tranquille. D’abord, on est entre soi. On est tous innocents, en somme ! Ce n’est pas parce qu’il y en a un qui tue et l’autre qui est tué. C’est une question de distribution. Et puis, surtout, c’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, le sale espoir; qu’on est pris, qu’on est enfin pris comme un rat, avec tout le ciel sur son dos, et qu’on n’a plus qu’à crier, — pas à gémir, non, pas à se plaindre, — à gueuler à pleine voix ce qu’on avait à dire, qu’on n’avait jamais dit et qu’on ne savait peut-être même pas encore. Et pour rien : pour se le dire à soi, pour l’apprendre, soi. Dans le drame, on se débat parce qu’on espère en sortir. C’est ignoble, c’est utilitaire.

Là, c’est gratuit. C’est pour les rois. Et il n’y a plus rien à tenter, enfin !

 

Le Chœur,


1944, Anouilh, J., Antigone

DES PREUVES TANGIBLES

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« L’expérience analytique laisse ouverte la dimension tragique de l’existence à travers le déploiement de la parole libre des sujets qui s’engagent dans ce processus. Comme telle, cette traversée propose une pratique de la parole aux antipodes de la communication qui, elle, n’est que le reflet de notre société. »

R. Potier

 

THELEMYTHE DEPUIS 30 ANS – JEUDI 16 JANVIER 2020

THELEMYTHEJeudi 16 janvier 2020 • Association qui préserve la précieuse alliance entre les éducateurs et la psychanalyse en présence auprès des jeunes qui ne rigolent pas tous les jours,

RARE ET NÉCESSAIRE

A l’occasion de ses 30 ans, l’association Thélèmythe propose ici quelques regards sur son travail particulier. A l’origine, une idée simple : ouvrir un espace thérapeutique à des jeunes en grande difficulté qui ne demandent pas cet accompagnement. Autrement dit « donner à quelqu’un quelque chose dont il ne veut pas« , pour ceux qui savent d’où vient cette formulation. Les autres seront curieux et chercheront si tel est leur désir. Thélémythe s’appuie sur le conviction que les dimensions éducatives et thérapeutique peuvent aller de concert et que l’insertion de ces jeunes ne peut se faire qu’en empruntant des détours. Ces idées, toujours mises en oeuvre, sont restées directrices dans chaque nouveau projet. 

A suivre, un extrait de texte témoignant du travail d’implication que demande, que l’on soit le « jeune » ou que l’on soit le « vieux », tout désir de … vivre et qui plus est, peut-être bien, ensemble.

THELEMYTHE 2020 – PRIERE D’INSERER

LA POÉSIE, UN INSTRUMENT DE PENSÉES ET D’ÉCHANGES HUMAIN

La poésie ou l’antidote

Comment expliquez-vous qu’il existe toujours des cellules d’isolement aujourd’hui ?

Parce qu’ils ne nous écoutent pas !, parce que tout ce que nous disons tombent à côté de leur plaque. Ils continuent à fonctionner avec les modèles de pensées traditionnels qui sont des modèles pétris d’autoritarisme, de quelque volonté de domination de l’un par l’autre qui constituent des modèles qui sont des diverses variations de l’ordre ségrégatif de la pensée. De toute une pensée dominatrice.

On n’a pas idée devant le sujet souffrant, hein, d’être là, comme l’interlocuteur qui l’aide bien à souffrir, de façon qu’avec cette aide il cesse de devenir si perturbant. Alors, observez l’observateur ! Tous ces travaux, au niveau de la « simple » clinique, n’est-ce pas de la dénonciation… Je prendrais un exemple parce que c’est tellement difficile à expliquer ; on décrit un syndrome qu’on appelle maniaque dans le livre de psychiatrie et on dit qu’il y a de la causticité chez le malade. Il est caustique, le patient. Or, il suffit d’être pétri d’une certaine trempe, de devenir doué dans l’observation de l’observateur, pour savoir que le patient souffrant en question, il est très différemment caustique en fonction de qui il est en relation : qu’il est infiniment caustique à l’égard de celui qui ne le comprend pas. « La façon dont il m’interrogeait, j’en suis devenu fou furieux ! » Alors, arrivez au moins à savoir cela. Arrivez à démultiplier ses capacités d’écoute et d’échos.

C’est en ce sens que, vous me demandez qui je suis, je suis quelqu’un qui a profondément milité pour donner droit à la vision poétique du monde, parce que la vision poétique du monde c’est celle qui permet d’amplifier la perception des échos et le jeu des harmoniques. Mais ça, ça ne leur va pas. Pour eux la poésie c’est un divertissement littéraire, c’est pas un instrument de pensée et d’échanges humains. Alors voilà ce qui nous sépare profondément de ces gens où il y a là un malentendu dont il est absurde de dire que ce malentendu est fatal.

Lucien Bonnafé dans un pavillon de Ville Evrard, Extrait d’un travail documentaire de Paule Mauxel et Bertrand de Solliers 

AVIGNON 2019 – JOURNAL DE BORD DE MONSIEUR WILLIAM MESGUICH

Ici, à cette heure, quasi en direct, vous trouverez une perle. Le travail et l’approche théâtrale de William Mesguich aura toujours eu résonance à mon non-sens, et c’est bien là qu’il sonne. Avec la grande amabilité de son aval, vous pourrez lire ses mots tout juste sortis de sa plume. 

Et nous les relirons. Un des offices de nos mots partagés, souvent, est celui du refuge. Alors, cher William, un grand merci à vous. Et bonne lecture à chacun de nos autres. 

MC

A MA FILLE

6 mai 1908

 

Ma chère Mathilde,

Ce que tu m’as écrit ne m’a pas complètement pris au dépourvu. J’attendais, bien sûr, que tu prennes toi-même la parole. Car j’avais confiance en toi, et je crois que tu n’as pas trompé cette confiance. Si tu es contente de toi, je peux l’être aussi.

Je ne peux que te donner quelques conseils et attirer ton attention sur quelques précautions. Tu sais peut-être qu’aimer doit s’apprendre, comme tout le reste. Il est donc difficile d’éviter, ce faisant, des erreurs ;