Un texte de Marie PESENTI
Que fait on de la demande en psychanalyse ? selon Lacan. A cette question, je répondrais « un pousse au dire », à savoir permettre la passe des dits de la demande au dire.
En inventant le règle fondamentale dite de l’association libre comme seule méthode pour la psychanalyse, Freud faisait l’hypothèse qu’en suivant l’enchainement des dits du patient, on allait pouvoir s’approcher de ce qu’il appelait alors « le noyau pathogène inconscient du sujet. »
Avec cette invitation à perdre le fil de sa pensée pour suivre les inattendus qui en émergent, Freud avait fait le pari que la succession des associations libres de ses patients n’avait rien de libre mais qu’au contraire elle s’orientait sur l’attractivité de ce noyau pathogène à la fois source de résistances et, à la fois, dans le même mouvement, appel à dire. Résistances d’une jouissance ignorée, aimantant la parole du patient et appel à dire venu de cet insondable qui se tient au coeur, dans cet espace, dans cet écart entre les dits qui toujours se caractérisent de leur insuffisance à dire la vérité dans ces tours du dit qui se succèdent.
Ce sont ces tours du dit qui font apparaître la texture du dire, de cette étoffe du textile que revêt cet objet, cet objet cause du désir qui mène la danse et qui n’est rien d’autre dit Lacan que le fait du dire. Ce dire qui se repère dans le surgissement d’un inédit, dans l’insistance répétitive des signifiants énigmatiques ou dans les manoeuvres transférentielles court dit à son insu l’analysant car le dire ne relève pas des fonctions signifiantes mais d’une fonction d’existence. C’est pourquoi je dirais que la psychanalyse est un pousse au dire tout autant de la part de l’analysant que de celle du psychanalyste. De l’analysant dans la mesure où il témoigne qu’à venir rencontrer un psychanalyste il fait l’expérience que quelque chose le pousse à dire et du côté du psychanalyste qui a pour tâche d’orienter le patient sur son dire au-delà de ce qu’il dit. Tâche à sans cesse recommencer, séance après séance, car toujours se dérobe cet inconnu qui cependant ne cesse de faire appel ; le dire. Le dire ambigüe de n’être que matériel du dire, dit Lacan, donne le suprême de l’inconscient dans son essence la plus pure. Et comme il le rappelait dans sa conférence à Naples sur la méprise du sujet supposé savoir qu’il puisse y avoir un dire sans qu’on sache qui le dit, voilà à quoi la pensée se dérobe. Et il ajoute « c’est une résistance ontique » C’est ce qui fait tiquer tous les adversaires de la psychanalyse. Et c’est ce qui fait tiquer le patient, névrosé du moins, qui tient tellement à être maitre de ce qu’il dit. Et comme nous le dit Lacan dans le moment de conclure, « l’inconscient c’est l’hypothèse qu’on ne rêve pas seulement quand on dort. »
Il y a donc chez le parlêtre, chez le patient, un pousse au dire qui se joue de lui et qui, à l’instar du rêveur dont on ignore qui il est et qui fomente malgré lui ce qui oriente le rêve, il y a chez le parlêtre quelque chose qui oriente sa vie, ses symptômes, son style d’être dont l’étoffe de son dire prend témoignage. C’est là-dessus qu’oeuvre la psychanalyse qui permet au sujet les moins demandeurs d’analyse qui soient les enfants, les autistes, comme tous ceux à qui on recommande la psychanalyse comme ultime recours de pouvoir être reconnus comme artisans d’un dire, d’un dire qu’ils méconnaissent, d’un dire dont ils sont porteurs, dans l’extrême de leur singularité et qu’à être parlés par les autres, ils n’en sont pas moins détenteurs d’un dire qui cherche à se faire reconnaître. Je n’ai pas dit d’un dire qui cherche à se faire entendre, car il ne s’agit pas tant d’être entendu, qui toujours risque de nous rabattre sur le sens et le sens, que d’être reconnu dans cet appel qui confine à la demande d’amour. Car cet appel ici en jeu n’est pas sans lien avec cet appel premier auquel a été confronté le sujet avec le premier grand Autre qu’il aura rencontré et qui ne dit rien de ce qu’il veut. Du fait qu’il parle, le sujet demande. La demande dit Lacan dans la direction de la cure est intransitive ; elle n’emporte aucun objet.
De cet appel de l’autre premier, le psychanalyste prend la suite et fait offre au patient de parler. Avec de l’offre, dit malicieusement Lacan, j’ai créé la demande. Et il ajoute, « par l’intermédiaire de la demande, tout le passé s’entrouvre jusqu’au fin fond de la première enfance, car demander, le sujet n’a jamais fait que ça. Il n’a pu vivre que par ça. »
La remémoration qui se met en mouvement dans la cure témoigne de ce que le patient se rappelle de ce qu’il a oublié ou au contraire de ce qu’il n’a pas oublié, il se rappelle parce qu’il est appelé par l’autre qu’est l’analyste à le faire jusqu’à ce point où il prendra acte de son dire.
[ … ]
Vidéo intégrale des journées d’ ESPACE ANALYTIQUE La demande en psychanalyse