Je pense : donc je suis*
En 1965, Lacan nous dit la chose suivante : « Explorer le champ du rêve, c’est remettre du signifié en circulation. » Mais pour quoi faire ? C’est pour l’évacuer purement et simplement.* Ce n’est pas du tout parce qu’on a compris quelque chose à ce qui se passe pour le patient, et on va lui expliquer, on va lui donner la signification de ce qui lui arrive. Il va en faire quoi ? « C’est très intelligent, ce que vous m’avez dit, c’est très bien… » Et puis, on le range dans la caboche avec le reste. Evidemment, rien n’a changé. Là, on a une indication : il s’agit de remettre du signifié en circulation ; et ça va permettre de l’évacuer. C’est quoi, dans cette optique-là, notre travail ? Ce n’est évidemment pas l’infini des significations justement, qui n’est pas évacuer ces signifiés, mais au contraire en rajouter une chaîne. C’est autre chose. C’est produire quoi ? C’est produire un effet de sens. L’effet de sens qu’est-ce que c’est ? L’effet de sens c’est notre travail. L’effet de sens, c’est ce qui fait lueur. Or, je pense qu’un effet de sens est commémoratif, ça vaut pour une toute première subjectivation (…)
Il y a donc quelque chose qui va faire une petite lueur subjective dans une opération logique la plus minimale qui soit. Qu’est-ce que c’est la plus minimal qui soit ? C’est de faire un lien entre quelque chose et une autre chose. C’est comme les frères Dupont dans le désert : ils avancent perdus et puis ils tombent sur des traces de pas. Ils se disent : » Il y a quelqu’un. » Ils n’ont pas compris que c’étaient les leurs. Bien sûr, ça veut dire quoi ? Qu’ils tournent en rond. Mais c’est quand même vrai qu’il y a quelqu’un ! Ça veut dire qu’il advient du sujet quand on est revenu pour une première fois là où on était. Alors là, il y a un effet-sujet. Et il est aussi dans le donc, dans la plus minime des opérations logiques, qui est l’arrachement à l’homéostase.(…)
Ce donc, là, c’est une première subjectivation, c’est une marque. Et c’est ce qui fait que l’intervention de l’analyste va pouvoir affecter le patient, qu’elle va pouvoir produire quelque chose. Parce que le problème – et Lacan est parti de là – ça peut bien être vrai ce qu’on raconte au patient, mais il n’en a rien à faire ; c’est comme de l’eau sur les plumes d’un canard. Qu’est-ce qu’il s’agit de toucher ? Il s’agit du fait que le symptôme est dialogue avec, disons, un Autre. Vous pouvez y allez à coups de boulets pour essayer de contraindre, en appuyant comme vous pouvez pour que ça rentre bien dans la case ; donner une explication qui rendra la personne, à votre avis, plus heureuse. C’est une façon de faire ; je ne pense pas que ce soit la guérison au sens analytique du terme. (…)
Evidemment là, le sujet n’est en rien ce que dans le langage commun on appelle le sujet, y compris chez les psychanalystes. Nous nous battons pour dire : prenons nos patients pour des sujets. Avec les nouvelles lois, on empêche qu’ils soient pris pour des sujets. Le problème, c’est que généralement, finalement, c’est encore le moi qui parle. Or, Lacan va nous proposer avec le réveil de mener l’analyse là où justement il y a du sujet, mais il est réduit à pas grand chose.
* Je suis celui qui est en train de penser « donc je suis ». ce n’est pas du tout ça dont il s’agit. Il s’agit d’une pure disjonction ; il s’agit d’un pur effet de seuil. Il s’agit qu’il n’y aura d’être de sujet, ni dans le « je pense », ni dans le « je suis ». Ça, c’est pour les philosophes. Pour les psychanalystes, il n’y a de sujet que quand il y aurait un effet de seuil quelque part, qu’il y a une espèce de passage à franchir.
Grignon, O., Avec le psychanalyste, l’homme se réveille, ERES, pp. 32 – 34