RIDEAU

Le mot n’est pas un signe, mais noeud de signification

Et que je dise le mot ‘rideau’ par exemple, ce n’est pas seulement par convention désigner l’usage d’un objet que peuvent diversifier de mille manières les intentions sous lesquelles il est perçu par l’ouvrier, par le marchand, par le peintre ou par le psychologue gestaltiste, comme travail, valeur d’échange, physionomie colorée ou structure spatiale.

C’est par métaphore un rideau d’arbres ; par calembour les rides et les ris de l’eau, et mon ami Leiris dominant mieux que moi ces jeux glossolaliques. C’est par décret la limite de mon domaine ou par occasion l’écran de ma méditation dans la chambre que je partage. C’est par miracle l’espace ouvert sur l’infini, l’inconnu sur le seuil ou le départ dans le matin du solitaire. C’est par hantise le mouvement où se trahit la présence d’Agrippine au Conseil de l’Empire ou le regard de Mme de Chasteller sur le passage de Lucien Leuwen. C’est par méprise Polonius que je frappe :  » Un rat ! un rat! un gros rat !  » C’est par interjection, à l’entracte du drame, le cri de mon impatience ou le mot de ma lassitude. Rideau !

C’est une image enfin du sens en tant que sens, qui pour se découvrir doit être dévoilé.

 

 Lacan J., Propos sur la causalité psychique

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