Jeu et réalité
Selon moi, « jouer » conduit naturellement à l’expérience culturelle et même en constitue la fondation.
Je voudrais maintenant examiner le lieu, en utilisant le mot dans son sens abstrait, où, la plupart du temps, nous sommes, quand nous vivons.
Le langage révèle l’intérêt naturel que nous portons à cette question. Je peux être dans la pagaille, alors j’essaie de m’en sortir ou bien j’essaie de remettre les choses en ordre afin de pouvoir, pour un temps du moins, savoir où je suis. Ou encore, je peux avoir le sentiment d’être en mer, de faire le point pour rentrer au port (à n’importe quel port s’il y a de la tempête) ; et, quand je suis à terre, je cherche une maison bâtie sur le roc plutôt que sur le sable, et, dans ma maison à moi qui – je suis anglais – est mon château, je suis au septième ciel.
Sans déformer le langage de tous les jours, je peux parler de mon comportement dans le monde de la réalité extérieure (ou partagée) ; je peux aussi faire une expérience interne ou mystique quand je m’accroupis à terre pour contempler mon nombril.
C’est peut-être une utilisation relativement moderne du mot « intérieur » que de l’appliquer à la réalité psychique pour prétendre qu’il y a un intérieur où s’édifie la richesse personnelle (ou bien où la pauvreté se révèle) alors que notre croissance affective progresse et que s’établit notre personnalité.
Il y a donc deux lieux, le dedans et le dehors de l’individu. Mais est-ce bien là tout ?
Considérons la vie des êtres humains : il y a ceux qui aiment à penser superficiellement en termes de comportement et aussi en termes de réflexes conditionnés et de conditionnement, ce qui conduit à ce qu’on appelle la thérapie du comportement (behaviour thérapie ou TCC, ie thérapie cognitivo-comportementale). Mais la plupart d’entre nous se sont lassés de se limiter au comportement ou à la vie extravertie que l’on observe chez les individus qui, que cela leur plaise ou non, sont motivés par l’inconscient. A l’opposé, il y a ceux qui mettent l’accent sur la vie « intérieure » et pensent que les effets de l’économie, et même de la famine, sont de peu d’importance comparés à expérience mystique. Pour les individus appartenant à cette dernière catégorie, l’infinité est au centre du soi alors que pour les béhavioristes qui pensent en termes de réalité extérieure, l’infinité va au-delà de la lune, vers les étoiles, des origines à la fin des temps, le temps n’ayant ni fin, ni commencement.
Je tenterai de me situer entre ces deux extrêmes. Si nous considérons nos vies, nous constaterons probablement que la plus grande partie de notre temps, nous ne la consacrons ni à des comportements, ni à la contemplation, mais que ce temps, nous le passons quelque part, ailleurs. Je demande : où ? Question à laquelle je vais tenter de répondre.
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Winnicott, D. W., Jeu et réalité, Le lieu où nous vivons, Folio Essai, pp. 192 – 193
Photographie @ Bastian Philippe