1932, ANGOISSE ET VIE PULSIONNELLE

Le refoulement dans la vie pulsionnelle

Otto Rank, à qui la psychanalyse doit beaucoup de belles contributions, a aussi le mérite d’avoir expressément souligné l’importance de l’acte de la naissance et de la séparation d’avec la mère. Il est vrai que nous avons tous trouvé impossible d’admettre les conclusions extrêmes qu’il a tirées de ce facteur pour la théorie des névroses et même pour la thérapie analytique. Il avait déjà trouvé le noyau de sa doctrine, à savoir que l’expérience d’angoisse de la naissance est le prototype de toutes les situations de danger ultérieures. Si nous nous y attardons, nous pourrons dire qu’à chaque âge du développement est attribuée, comme lui étant adéquate, une condition d’angoisse déterminée et donc, une situation de danger particulière. Le danger de l’état d’impuissance à s’aider soi-même [ Hilflosigkeit ] concorde avec le stade de l’immaturité du moi en son premier âge, le danger de la perte d’objet (perte d’amour) s’accorde au manque d’indépendance des premières années d’enfance, le danger de castration de la phase phallique, enfin, l’angoisse devant le surmoi, qui occupe une place particulière, à la période de latence. Dans le cours du développement, les anciennes conditions d’angoisse devraient disparaitre puisque les situations de danger qui leur correspondent sont dévaluées par le renforcement du moi. Mais ce n’est que très imparfaitement le cas. Beaucoup d’individus ne peuvent pas surmonter l’angoisse devant la perte d’amour, ils ne deviennent jamais suffisamment indépendants de l’amour des autres et persistent, sur ce point, dans leur comportement infantile. L’angoisse devant le surmoi ne doit normalement pas trouver de terme, étant donné que, comme angoisse morale, elle est indispensable dans les relations sociales et que l’individu ne peut devenir indépendant de la communauté humaine que dans les cas les plus rares. Certaines des anciennes situations de danger aussi à se perpétuer jusqu’à des époques tardives, en modifiant, conformément au temps, leurs conditions d’angoisse. C’est ainsi, par exemple, que le danger de castration se maintient sous le masque de la syphilophobie. Devenu adulte, on sait, il est vrai, que la castration n’est plus en usage comme punition du libre cours laissé aux appétits sexuels ; en revanche, on a appris qu’une telle liberté pulsionnelle est menacée par de graves maladies. Il n’y a pas de doute que les personnes que nous appelons névrosées restent infantiles dans leur comportement vis-à-vis du danger et qu’elles n’ont pas surmonté des conditions d’angoisse périmées. Admettons cela comme une contribution effective à notre caractérisation des névroses ; pourquoi en est-il ainsi ? Il n’est pas si facile de la dire.

J’espère que vous n’avez pas perdu la vue d’ensemble du sujet et que vous savez encore que nous sommes en train d’examiner les relations entre l’angoisse et le refoulement. Nous avons, ce faisant, appris deux choses nouvelles ; premièrement, que c’est l’angoisse qui produit le refoulement et non, comme nous le pensions, l’inverse, et qu’une situation pulsionnelle redoutée remonte, au fond, à une situation de danger extérieur. La question suivante sera : comment représenter maintenant le processus d’une refoulement sous l’influence de l’angoisse ? Voici ce que je pense : le moi remarque que la satisfaction d’une revendication pulsionnelle émergente susciterait une des revendications de danger dont il se souvient bien. Il faut donc que cet investissement pulsionnel soit, d’une manière quelconque, réprimé, aboli, rendu impuissant. Le moi, nous le savons, réussit cette tâche quand il est fort et qu’il a inclus dans son organisation la motion pulsionnelle en question. Mais le cas du refoulement est que la motion pulsionnelle appartient encore au ça et que le moi se sent faible. Le moi s’aide alors par une technique qui est au fond identique à celle de la pensée normale. Penser c’est agir à titre d’essai, avec de petites quantités d’énergie ; cela se compare aux déplacements de petites figures sur la carte, avant que le général ne mette ses troupes en mouvement. Le moi anticipe donc la satisfaction de la motion pulsionnelle scabreuse et lui permet de reproduire les sensations de déplaisir qui se trouvent au commencement de la situation de danger redoutée. Ainsi est mis en jeu l’automatisme du principe de plaisir-déplaisir qui accomplit alors le refoulement de la motion pulsionnelle dangereuse. [ … ]


Freud, S., 1932, XXXIIe, Angoisse et vie pulsionnelle, Nouvelles conférences d’introduction à la psychanalyse, pp. 121 – 122, Folio essais, 2006

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