Encourager la parole
Quiconque pousse la porte de l’analyste, sans même le savoir, ou la porte de chez quelque psy que ce soit, d’aucun compose le numéro de téléphone, prend ce fameux rendez-vous sur les plateformes modernes, c’est toujours la même histoire ; c’est l’enfant en moi qui, exaspéré des injonctions du monde dit « adulte », prend les choses, La Chose, en mains. Ça suffit !
« Pour les enfants, j’étais « la-dame-avec-qui-on-parle ». Cette définition me satisfaisait, car effectivement ils parlaient de ce qu’ils ne pouvaient pas dire ni à leurs parents ni à leurs médecins, parce que, me disaient-ils, « ça leur ferait du mal ». Que de fois j’ai entendu en préalable, de la part d’un enfant, cet avertissement : « Ce que je te dis, tu le diras pas, n’est-ce-pas ? » Ils étaient parfaitement conscients de la difficulté pour les adultes de les entendre se plaindre ou, plus précisément, dire leur vérité. Cela était possible avec moi, la-dame-avec-qui-on-parle, sans avoir à tenir compte de la peine dont ils se savaient être la cause. Ce qu’ils voulaient épargner à leur parents, c’est la révélation de leur propre souffrance psychique. Ma formation d’analyste m’a aidée à garder une position aussi neutre que possible, non impliquée dans leur position subjective. Tel enfant pouvait dire un secret, une pensée interdite, bref, tout ce qu’il savait être à la fois douloureux et de caractère éventuellement dramatique pour tous les adultes de leur entourage, parents et médecins. Ce que je veux dire par « neutre », c’est que j’écoute tout le monde, enfants, parents, médecins, personnel soignant… Mon but est d’encourager la parole. En fait, à la différence des médecins, voire des parents, je n’ai pas peur, ni d’eux, ni pour eux. En tous cas, si j’ai parlé de « neutre » c’est aussi par opposition à la fameuse empathie anglo-saxonne, qui pourrait du reste expliquer le recul de certains analystes devant la peur d’être entraînés dans le néant comme conséquence de leur propre adhésion au malheur de l’autre. Au contraire, ma position subjective était de renoncer à « comprendre » l’autre et, devant l’épreuve de la mort, de le reconnaître dans sa solitude radicale. »
RAIMBAULT, G., « Qui ne voit que la grâce… », Payot, 2005, p.133
Illustration : Zelda Zonk.