AUX AMATEURS DE GRANDS ESPRITS

Correspondance entre Stefan Sweig et Sigmund Freud

Préface (extrait)

Au début du siècle (dernier), porter un jugement sur Freud n’était pas chose aisée : il n’était pas un écrivain, et pourtant il en avait tous les dons ; il n’était pas un scientifique, et pourtant il n’aurait renoncé pour rien au monde à son identité médicale ; il n’était pas un universitaire, et pourtant il était prêt à mendier la considération des Herren Professoren qu’il méprisait par ailleurs ; il n’était pas un philosophe, et pourtant il n’était pas concevable d’ignorer sa pensée. Il explorait un continent nouveau, l’inconscient, avec l’âme d’un aventurier, d’un “conquistador”, et on prétendait le juger selon des critères traditionnels.

Ce qu’il y a de plus neuf dans la psychanalyse,

LES INTERMITTENCES DE L’ÊTRE

[ .. ] Qui ne connait pas la dépression, qui ne se sent jamais l’âme entamée par le corps, envahie par sa faiblesse, est incapable d’apercevoir sur l’homme aucune vérité ; il faut venir en dessous, il faut regarder l’envers ; il faut ne plus pouvoir bouger, ni espérer, ni croire, pour constater. [ … ] Ce doit être la consolation de ceux qui expérimente ainsi à petits coups la mort qu’ils sont les seuls à savoir un peu comment la vie est faite.

Jacques Rivière à Antonin Artaud

Paris, le 8 juin 1924

 Cher Monsieur,

PAUVRETÉ ET PRIVATION

C’est où chez les autres ?

‘ La pauvreté, ce n’est pas la privation. La pauvreté, c’est de n’être jamais seul. 

Je me rends compte maintenant que je suis de l’autre côté. Le pauvre n’a pas droit à la solitude. Il crève avec les autres à l’hôpital. Entre la crèche et l’hospice il y a les garderies et les asiles, les taudis et les casernes. Sa vie, de bout en bout, il lui faut la vivre en commun. On joue dans le sable public des squares et sur le trottoir de tout le monde. On couche à dix dans la même pièce. On se heurte dans les escaliers et les couloirs. Et c’est plein de murs, d’escaliers et de couloirs, la pauvreté.

FOLCOCHE …

 

 » Tous les serpents. Vous savez que je les connais bien, ces bêtes sinueuses, dont fourmille le Craonnais. Un serpent, m’a-t-on rabâché, siffla pour notre mère Eve. Une belle Folcoche, celle-là ! Une belle Folcoche qui a empoisonné pour toujours toute l’humanité. Mais la vraie Folcoche siffle mieux. Couleuvres d’eau, par erreur, vous donnerez encore dans mes nasses, jaunes et tordues comme des rires captifs. Aspics de la tentation, vous pouvez grouiller : je vous préfère. Et vous, les anguilles de l’Ommée, et vous, les vers de terre sortis rosâtres sous la pelle de Barbelivien, comme les idées, dans les marais, dans la glaise de l’intelligence. Mais entre tous les reptiles, à moi, la vipère, à moi ! Te souviens-tu, Folcoche, de celle à propos de qui tu disais, avec l’air de si fort la regretter : “Cet enfant a été l’objet d’une grande grâce ! ”

Cette vipère, ma vipère, dûment étranglée, mais partout renaissante, je le brandis encore et je la brandirai toujours, quel que soit le nom qu’il te plaise de lui donner : haine, politique du pire, désespoir ou goût du malheur ! Cette vipère, ta vipère, je la brandis, je la secoue, je m’avance dans la vie avec ce trophée, effarouchant mon public, faisant le vide autour de moi. Merci, ma mère ! Je suis celui marche, une vipère au poing. « 

 

BAZIN, H., Vipère au poing

LOUISE BOURGEOIS, QUELLE ADRESSE !?

Vous comprenez ? 

LOUISE Bourgeois

En retranscription, quelques mots clefs qui sonnent à l’oreille de celui qui est en analyse, forcément. A l’oreille du psychanalyste, pas moins. Quand l’art et la psychanalyse s’entre-servent avec une telle justesse, le ton est donné. Il s’agit bien de s’adresser à, de trouver une adresse et de faire d’une « idée bleue », une « idée rose » puis jaune, puis bleue, puis… On part d’une cruauté intime, honteuse, inoubliable, on chemine, on tourne en rond, pour peut-être un jour, si l’on ne flanche pas en cour de route, arriver à une libération, et introduire enfin de vraies personnes dans la maison. Quelle adresse !? De quelle adresse parlons-nous ? 

‘ – La cruauté, la guillotine s’exerce à l’intérieur des familles. [ … ]

– En réalité il y a une violence, une cruauté terrible, qui ne se montre pas.

– Qui ne se montre pas et qui ne s’oublie pas. [ … ]

LE COMPLEXE D’OEDIPE A LA RACINE

De Chaos à Oedipe

Deux au moins des concepts essentiels de la psychanalyse, le complexe d’Oedipe et le narcissisme, doivent leur nom à la mythologie grecque. Freud a achevé l’invention de la psychanalyse comme science spécifique, différente de la biologie et de la psychologie, en reconnaissant que la névrose, et aussi le devenir humain, se jouent sur le mythe d’Oedipe. Pour le découvrir, il ne suffisait pas d’avoir, comme tout un chacun, lu la tragédie de Sophocle. Il fallait, comme Freud le fit et comme il ne cessa de le recommander aux psychanalystes, être familier de toute la mythologie grecque, avoir des vues sur les autres mythologies, se tenir au courant des progrès de l’archéologie et de l’histoire des religions, des résultats des fouilles, des monuments et des textes significatifs mis à jour, des grandes hypothèses élaborées par les spécialistes pour rendre compte des mythes. A son exemple, essayons de refaire aujourd’hui le travail que Freud a commencé en 1897 et que, jusqu’à Moïse et le Monothéisme, il n’a cessé d’enrichir.

QUELLE DIFFÉRENCE ?

Écrivain / écrivant ? 

« Ce qui veut dire pratiquement que par exemple un écrivain assume d’écrire des idées à travers des métaphores. Il y a toute une partie des sciences sociales et humaines qui continuent à écrire sans se permettre le luxe d’une métaphore. L’écrivain c’est celui qui s’assume comme artiste alors que l’écrivant en générale s’assume comme savant ou comme idéologue. »

Roland Barthes