PSEUDO & VÉRITÉ

Je me suis toujours été un autre.

 » Il me faut à présent, tenter de m’expliquer « en profondeur ». 

J’étais las de n’être que moi-même. J’étais las de l’image de Romain Gary qu’on m’avait collée sur le dos une fois pour toutes depuis trente ans, depuis la soudaine célébrité qui était venue à un jeune aviateur avec Education européenne, lorsque Sartre écrivait dans Les Temps modernes : « Il faut attendre quelques années avant de savoir si Education européenne est ou non le meilleur roman sur la Résistance… » Trente ans ! « On m’avait fait une gueule. » Peut-être m’y prêtais-je, inconsciemment.

INCIPIT VERS LA BEAUTÉ

Vers la beauté

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 » Le musée d’Orsay, à Paris, est une ancienne gare. Le passé dépose ainsi une trace insolite sur le présent. Entre les Mante et les Monet, on peut se laisser aller à imaginer les trains arrivant au milieu des tableaux. Ce sont d’autres voyages maintenant. Certains visiteurs ont peut-être aperçu Antoine Duris ce jour-là, immobile sur le parvis. Il paraît tombé du ciel, stupéfait d’être là. La stupéfaction, c’est bien le mot qui peut caractériser son sentiment à cet instant.

ESPRITS PERSPICACES

Lequel d’entre nous, intimement, massivement, aveuglément, invisiblement, en d’autres mots, persuadé d’être le seul ou l’un des seuls, ne pensait-il pas alors que la foule c’était l’autre et lui le perspicace ?


‘ Il n’y a en ce monde que bien peu d’esprits perspicaces. La foule est crédule, elle se laisse aisément tromper, parce qu’elle croit dans les apparences qu’on lui offre et ne va pas plus loin. [ … ] Il suffit dès lors au politique, pour maintenir son autorité, de composer les apparences à bon escient.’

[ Machiavel – Le Prince ]

AUX AMATEURS DE GRANDS ESPRITS

Correspondance entre Stefan Sweig et Sigmund Freud

Préface (extrait)

Au début du siècle (dernier), porter un jugement sur Freud n’était pas chose aisée : il n’était pas un écrivain, et pourtant il en avait tous les dons ; il n’était pas un scientifique, et pourtant il n’aurait renoncé pour rien au monde à son identité médicale ; il n’était pas un universitaire, et pourtant il était prêt à mendier la considération des Herren Professoren qu’il méprisait par ailleurs ; il n’était pas un philosophe, et pourtant il n’était pas concevable d’ignorer sa pensée. Il explorait un continent nouveau, l’inconscient, avec l’âme d’un aventurier, d’un “conquistador”, et on prétendait le juger selon des critères traditionnels.

Ce qu’il y a de plus neuf dans la psychanalyse,

LES INTERMITTENCES DE L’ÊTRE

[ .. ] Qui ne connait pas la dépression, qui ne se sent jamais l’âme entamée par le corps, envahie par sa faiblesse, est incapable d’apercevoir sur l’homme aucune vérité ; il faut venir en dessous, il faut regarder l’envers ; il faut ne plus pouvoir bouger, ni espérer, ni croire, pour constater. [ … ] Ce doit être la consolation de ceux qui expérimente ainsi à petits coups la mort qu’ils sont les seuls à savoir un peu comment la vie est faite.

Jacques Rivière à Antonin Artaud

Paris, le 8 juin 1924

 Cher Monsieur,

PAUVRETÉ ET PRIVATION

C’est où chez les autres ?

‘ La pauvreté, ce n’est pas la privation. La pauvreté, c’est de n’être jamais seul. 

Je me rends compte maintenant que je suis de l’autre côté. Le pauvre n’a pas droit à la solitude. Il crève avec les autres à l’hôpital. Entre la crèche et l’hospice il y a les garderies et les asiles, les taudis et les casernes. Sa vie, de bout en bout, il lui faut la vivre en commun. On joue dans le sable public des squares et sur le trottoir de tout le monde. On couche à dix dans la même pièce. On se heurte dans les escaliers et les couloirs. Et c’est plein de murs, d’escaliers et de couloirs, la pauvreté.

FOLCOCHE …

 

 » Tous les serpents. Vous savez que je les connais bien, ces bêtes sinueuses, dont fourmille le Craonnais. Un serpent, m’a-t-on rabâché, siffla pour notre mère Eve. Une belle Folcoche, celle-là ! Une belle Folcoche qui a empoisonné pour toujours toute l’humanité. Mais la vraie Folcoche siffle mieux. Couleuvres d’eau, par erreur, vous donnerez encore dans mes nasses, jaunes et tordues comme des rires captifs. Aspics de la tentation, vous pouvez grouiller : je vous préfère. Et vous, les anguilles de l’Ommée, et vous, les vers de terre sortis rosâtres sous la pelle de Barbelivien, comme les idées, dans les marais, dans la glaise de l’intelligence. Mais entre tous les reptiles, à moi, la vipère, à moi ! Te souviens-tu, Folcoche, de celle à propos de qui tu disais, avec l’air de si fort la regretter : “Cet enfant a été l’objet d’une grande grâce ! ”

Cette vipère, ma vipère, dûment étranglée, mais partout renaissante, je le brandis encore et je la brandirai toujours, quel que soit le nom qu’il te plaise de lui donner : haine, politique du pire, désespoir ou goût du malheur ! Cette vipère, ta vipère, je la brandis, je la secoue, je m’avance dans la vie avec ce trophée, effarouchant mon public, faisant le vide autour de moi. Merci, ma mère ! Je suis celui marche, une vipère au poing. « 

 

BAZIN, H., Vipère au poing