Il est une parole que les autres ne sont pas là pour entendre. Tout simplement parce qu’elle ne les regarde pas. Pourtant, c’est bien là que j’ai tant à dire.
La tyrannie de l’indicible
‘ Impossible de confier ma souffrance à qui que ce soit, pas même à un camarade. Les parents, il fallait encore moins y penser. Le sexe était tabou dans l’hypocrite discours familial. Il ne fallait pas que ma monstruosité, sans doute bien assez transparente déjà, soit découverte. J’étais convaincu d’être le seul être humain à abriter de pareilles affreuses pensées. Comment aurais-je pu révéler cette torture ? La lutte que je menais contre de telles représentations m’épuisait et j’alternais les moments de brillante réussite scolaire avec de sévères moments de dépression que nul dans mon entourage ne semblait ni ne voulait comprendre.
Mais voici qu’un jour je découvris, avec un indicible bonheur, le nom de Freud et les rudiments de sa pensée. Surtout cette idée que le sexuel marque très tôt l’enfant de son fer rouge. On pouvait donc parler de ces choses, je n’étais pas ce monstre unique en son horreur. Mieux encore, j’entendais de cette bonne nouvelle la possibilité de guérir de cette souffrance. Entreprendre une psychanalyse devint un rêve, une véritable terre promise où j’espérais bien un jour entrer.
C’est ainsi que mon choix se forma. Sous couvert d’études médicales et psychiatriques, j’entreprenais ma propre analyse qui me libérerait du malheur. J’ai ainsi choisi Freud par la porte du symptôme. ‘
Extrait Haddad, G., Le jour où Lacan m’a adopté, Grasset, 2005, pp. 19 – 20
‘ Ce texte est le récit, presque le roman, d’une expérience qui a transformé radicalement la vie de son auteur. En 1969, alors qu’il est ingénieur agronome, Gérard Haddad rencontre Jacques Lacan et commence avec lui une analyse. Cette aventure va durer onze années, au cours desquelles se sera opérée une métamorphose. ‘ (4e de couverture)