Phèdre ou le cauchemar d’Hippolyte
Article écrit par Marianne Carabin
de Jean Racine
mis en scène par Sterenn Guirriec
à la Scène Watteau
du 25 janvier au 04 février 2016
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Avec Johann Cuny (Hippolyte), Nanou Garcia (Oenone), Sterenn Guirriec (Phèdre), Joëlle Luthi (Théramène), Philippe Maymat (Thésée), Hélène Ollivier (Ismène et Panope), Marie Sambourg (Aricie)
Assistante à la mise en scène Hélène Ollivier / scénographie Camille Ansquer / lumières Bruno Rudtmann / musique Nicolas Larmignat / costumes Dominique Louis / maquillage et coiffure Eva Bouillaut / conception des décors élèves de l’Ecole Prép’art / régie son Thomas Lucet / régie plateau Yann Le Postollec
« J’ai choisi pour décor ce qui ressemblerait à un monde construit depuis une projection de notre inconscient, un monde qui se plie, se déplie, en un rêve où s’impriment les ricochets possibles d’un réel. »
Sterenn Guirriec
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Hippolyte, objet du désir de Phèdre, ouvre le bal. Non. Le noir d’abord. Puis le cri. Un cri. Celui de l’effroi dirait-on. Seulement ensuite apparait l’objet du désir ; le bel Hippolyte. Fébrile et perplexe. Et nu. Comme s’éveillant d’un rêve mauvais. Il apparait, sous nos regards éblouis, depuis la pénombre d’une lumière soudaine. Sterenn Guirriec tisse d’entrée de jeu une nudité tout à la fois fine et crue. Le ton est donné. Nous pénétrons dans l’antre des frontières à ne pas dépasser. Là, exactement où l’on a envie, terriblement, de voir. Non pas d’y voir et surtout pas d’y voir clair, mais de voir. Là où l’oeil cherche. Là où, seul le cadre analytique permettrait non seulement de survivre mais bien plus, d’apparaitre en tant que sujet de l’inconscient, là où à l’instar de Phèdre tout un chacun pourrait prononcer ces mots-là : « J’ai dit ce que jamais on ne devait entendre. »
La singularité de la mise en scène est ici de nous proposer de pénétrer dans le texte de cette Phèdre Racinée comme dans le cadre d’une cure analytique. Nous sommes, tour à tour, identifiés à Phèdre, tordus, noués, sur le divan de l’analyste. Puis, sur les bords topologiques et autres quarts de tours, nous voici, spectateurs, silencieux, identifiés peut-être au désir d’analyste, laissant ainsi se dérouler sous nos yeux les impossibles à dire, les dimensions interdites des fantasmes incestueux d’un être en mal d’amour. En mal de sens. En effet, s’arrangeant, inlassable de complaisance, avec le conflit névrotique qui pourtant la définit, Phèdre déploie sur cette scène inconsciente les prouesses propres à l’hystérique, qu’il soit femme ou qu’il soit homme, pour que jamais, grands dieux jamais!, son désir (incestueux par définition) ne se satisfasse. Sans que jamais aucun plaisir ne soit emprunt du sceau de la faute.
Phèdre est mise à nue, elle aussi, devant nous. Aux yeux de tous. Et pour l’éternité. Phèdre se tortille, se tord, convulse de se recroqueviller, de sentir la terre nourricière sur la plus large partie de sa peau. Faire corps à corps avec ce sol, espace inconscient, refoulé, qui seul, la soutient pourtant dans ses excès. Qui la maintient, horizontale, dans l’impossibilité de se verticaliser, comme dévorant, mortifiée de n’être pas sourde et aveugle à ce désir honteux. Déchirée de n’être pas la femme élue. La préférée. Déréalisée de ne pas être cette autre femme. La femme. Phèdre, en joug dans les plis du corps fatalement foetal, n’en flirte pas moins pour autant sous nos oreilles assoiffées avec une nudité, cette fois-ci, ni fine ni crue, mais partielle tout autant que palpable, fiévreuse, ensorcelante. Désespérée. Rampante. Une nudité en pointillés. Juteuse aussi. Jusqu’au lit où elle y couche avec l’épée d’Hippolyte. Cette épée à laquelle elle se soumet jusqu’à la mort pourvu que cette dernière soit donnée du bras fort et fier d’Hippolyte.
Le dire inavouable attend pour faire jour non seulement l’amour charmant et partagé du couple des amants modèles (Hippolyte et Aricie), mais surtout la croyance en ce « qu’on ne voit pas deux fois le rivage des morts ». C’était sans compter, toujours dans le parti pris de Sterenn Guirriec, sans compter avec les facéties de l’inconscient dans lequel la négation n’existe pas. Thésée revient du pays des morts. Disons mieux, Phèdre, avide d’amour pour le fils de son époux, l’a tué sans attendre. Comment, dès lors, se regarder en face quand plus aucun recoin n’offre d’espace pour s’oublier ? Le manque manque. Thésée revient. Le père non-mort, celui qui devrait tenir droit et trancher, le père revient et avec lui, l’indésirable époux bien entendu. Rien ne l’accueille et, faible autant qu’affaiblie par les combats dont il revient, il s’affaisse un peu plus, lourd de toute l’impuissance d’un homme face au réel qui surgit. Père, époux, roi, Thésée nous parait homme avant tout. Rongé par le doute, non de la jalousie comme le doute Shakespearien d’Othello, mais par le doute de la trahison. Croire. Comment reconnaitre les mots qui tiennent ? Le symbolique chute et emporte avec lui, Thésée, empoisonné par l’aveuglement d’une vérité inconcevable.
D’Hippolyte, à Thésée en passant par Théramène, dont la direction d’acteur nous offre un sage à la figure de « l’enfant intérieur » d’Hippolyte, cette Phèdre est sans commune mesure fantasmagorique et d’un habit brillant de simplicité laissant ainsi tout l’espace à nos espaces psychiques pour entrer en scène nous aussi. Le plateau, à la Dogville de Lars Von Trier, barré d’une large croix blanche autour de laquelle tournent les discours donne toute l’ampleur tant au texte racinien qu’à cette lecture, on ne peut plus parlante, de Sterenn Guirriec qui a su remarquablement allier les méandres labyrinthiques de nos scènes inconscientes.
« Les personnages ne savent pas, eux, que leur dire est écrit. Et que par l’écriture s’encre la tragédie. » SG
Par ce que nous aimons le Théâtre qui sert la langue et l’inconscient, celui qui nous permet l’émoi de la rencontre du sacré et de l’intime, nous espérons pouvoir revoir cette Phèdre-là dans nos théâtres. Bientôt. Vraiment.