III
Viarregio, près Pise (Italie), le 13 avril 1903.
Au vrai, la vie créatrice est si près de la vie sexuelle, de ses souffrances, de ses voluptés, qu’il n’y faut voir que deux formes d’un seul et même besoin, d’une seule et même jouissance. Et si, au lieu de « rut », on pouvait dire « sexe » dans le sens pur, élevé et large de ce mot, libéré des suspicions de l’Église, l’art de Dehmel serait très haut et de la meilleure source. Sa puissance poétique est grande, forte comme un instinct. Elle a des rythmes à elle, sauvages : elle jaillit comme d’un roc. Mais cette force n’est pas toujours sincère, elle ne va pas sans quelque pose (c’est là une des plus dures épreuves du créateur : il doit rester dans l’ignorance de ses meilleurs dons, ne pas même les pressentir, au risque de la priver de leur ingénuité, de leur virginité). Quand la puissance qui subjugue son être rencontre la sexualité, elle ne trouve pas en Dehmel un homme aussi pur qu’il le faudrait. Son monde de l’amour n’est pas tout à fait mûr, pas tout à fait purifié, pas assez humain ; ce n’est que l’instinct du mâle : c’est du rut, de l’ivresse, de l’inquiétude : il est chargé de ces façons et de ces préjugés qui défigurent l’amour. Parce qu’il n’éprouve l’amour qu’en mâle, et non en homme, il y a en lui quelque chose d’étroit, de sauvage, dirai-je, de haineux, de passager : il y a du « non éternel » qui rabaisse son art et le rend équivoque et douteux. Cet art n’est pas sans taches : il porte la marque du moment et de la passion. Peu en restera.
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